Quelles banques de développement, pour quoi faire ?
Le contexte des banques de développement multilatérales et bilatérales

Les banques multilatérales dont il est question dans le rapport sont la Société financière internationale (SFI), institution membre du groupe Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement (BEI) et la Banque asiatique de développement (BAsD). Quant aux bilatérales mentionnées, elles sont au nombre de 12 qui proviennent des principaux pays européens.

Dès 1956, la Banque mondiale mettait sur pied une institution spécifique, la Société financière internationale (SFI), destinée au financement de projets d’entreprises privées dans les pays dudit Tiers Monde, investissements qui ont pris de plus en plus d’envergure au fil du temps.

En plus de leur participation aux institutions financières internationales et leurs agences de crédit à l’exportation, les pays du Nord ont mis sur pied des banques de développement prétendument censées aider au financement et développement des économies locales par l’appui aux petites et moyennes entreprises voire même aux très petites entreprises. Quinze institutions financières bilatérales de développement font partie de l’Association européenne des banques de développement (European Developement Finance Institutions - EDFI).

Un secteur en croissance

La SFI a le plus gros portefeuille de prêts avec environ 18 milliards de dollars et fait office de référence pour l’ensemble du secteur. Elle est seulement dépassée par les montants cumulés par l’ensemble des banques de l’EDFI qui se montait en 2012 à plus de 26 milliards d’euros, avec une augmentation de plus de 160% depuis 2003. Il y a une grande disparité dans la taille de ces institutions qui s’échelonne d’un portefeuille de 8 millions d’euros pour la banque portugaise de développement à 6,3 milliards d’euros pour la néerlandaise FMO. Leurs gouvernements respectifs leur octroient des garanties ; ce qui, avec leur statut de créancier privilégié, concourt largement au développement de ce secteur. Entre 2008 et 2012, six institutions (les trois multilatérales que sont la SFI, la BEI et la BAsD ainsi que les banques française, allemandes et néerlandaises ont engagé 75 milliards d’euros à destination du secteur privé dans les pays en développement. Une prévision pour 2015 fait état d’investissements dépassant les 100 milliards d’euros. Ceci fait des banques de "développement" un acteur de premier plan.

La question est de savoir si leur action telle qu’elle est menée actuellement peut-elle avoir un réel impact positif sur le développement. C’est ce que nous allons voir maintenant.

Développement des peuples ou des actionnaires ?

Pour la période 2010-2013, les pays à faibles revenus n’ont reçu que 5,5% des investissements de la SFI. Pire, sur la période s’échelonnant entre 2006 et 2010, près de la moitié des fonds engagés ont servi à appuyer des entreprises originaires de pays membres de l’OCDE et certaines dans les paradis fiscaux.

Par ailleurs, près de 40% des entreprises sont des multinationales cotées en bourse. Des prêts de 26 et 53 millions de dollars ont ainsi été octroyés aux filiales des hôtels de luxe Mövenpick et Mariott au Ghana et en Jamaïque. L’argument invoqué étant bien sûr la création d’emplois. On peut cependant douter que ce paramètre ait été le premier critère et on peut raisonnablement penser que cet argent aurait pu être mieux employé pour bénéficier aux populations locales.

La banque de "développement" britannique a, quant à elle, financé la construction de résidences avec accès contrôlé destinées bien évidemment à un public aisé, de centres commerciaux et de biens de luxe. Épinglée par le CNCD, la plateforme belge francophone des organisations de coopération au développement, la banque belge BiO  avait des investissements dans les paradis fiscaux qui privent les États du Sud comme du Nord de recettes fiscales considérables mais aussi dans des centres de fitness. Ce dernier cas laisse songeur en matière de création d’emplois !

Une évaluation récente faite par le dénommé Groupe indépendant d’évaluation IEG de la Banque mondiale portant sur 166 projets d’investissement de la SFI qui prétendent cibler les PME, principaux acteurs de la création d’emplois dans les pays en développement, a au contraire montré que seuls 20% des projets ont bénéficié au secteur des PME.

Quid des droits humains ?

Le respect des droits humains ne compte pas parmi les préoccupations de ces institutions. La SFI a ainsi financé une entreprise hondurienne active dans l’huile de palme et l’agrobusiness alors que celle-ci avait été plusieurs fois accusée d’assassinat, de kidnapping et d’éviction forcée de paysans de leurs terres. Plus largement, le contexte même du Honduras pose problème puisque le président démocratiquement élu, Manuel Zelaya, a été renversé par un Coup d’État en 2009, ce que la SFI ne pouvait ignorer !

Bien que SFI ait présenté en avril 2014 un document intitulé Lessons learned visant à une sorte de mea culpa en réponse à la pression d’organisations de la société civile, la vigilance des aspects sociaux et environnementaux n’est toujours pas prise en considération par cette institution. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. En effet, la Banque mondiale a commandité de nombreux rapports d’évaluation afin de redorer son blason. Or, elle ne tient presque jamais compte de ces rapports qui ne sont pas contraignants pour la direction de la banque.

Des banques de "développement" au service des entreprises du Nord

La plupart des banques membres de l’EDFI ont été mises sur pied après les décolonisations pour protéger leurs intérêts dans leurs anciennes colonies et continuent d’agir dans cette optique. L’existence de ces banques bilatérales est une aubaine pour les entreprises du pays d’origine qui peuvent ainsi bénéficier de prêts à bas taux d’intérêt et remportent souvent le marché au détriment d’entreprises locales. Ce qui entre en contradiction avec l’objectif affiché de soutien au secteur privé national. Il faut dire que les pays soi-disant bénéficiaires n’ont guère voix au chapitre.

À cela, il faut ajouter la liberté des mouvements de capitaux qui permet aux investisseurs de rapatrier leurs capitaux dès les premiers signes d’inquiétude ; ce qui a pour effet de précipiter et approfondir la crise comme ça s’est passé avec la crise du Sud-Est asiatique en 1997.

Des prêts qui posent plus de questions qu’ils n’en résolvent

Si la SFI divulgue des informations commercialement non sensibles, celles qui le sont d’un point de vue financier ou de relations contractuelles ne sont pas communiquées. Il en va de même pour les banques bilatérales.

Par ailleurs, ces flux de capitaux entrants présentent encore un autre problème, celui de la volatilité des capitaux venus chercher un rendement plus élevé qui fuient le pays dès le moindre signe de difficulté entraînant la paralysie des projets dans lesquels ces investissements ont lieu. Face à ce risque, les pays qui en ont eu les moyens se sont constitués des stocks importants de réserves de change pour parer aux retraits brutaux des capitaux investis et aux attaques spéculatives contre leurs monnaies, attaques permises par la libéralisation des mouvements de capitaux.

La situation économique favorable qui a bénéficié à de nombreux pays exportateurs de matières premières au cours de la dernière décennie aurait pu et pourrait toujours, avant que la conjoncture n’évolue défavorablement, être mise à profit pour refuser de continuer à payer une dette illégitime, mener à bien des audits sur leur dette, se passer ou en tout cas diminuer leur dépendance vis à vis des créanciers et investir une partie de leurs réserves dans leur économie et le développement de leur population.

Par Virginie de Romanet (2 septembre 2014)

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