Mettre plus de justice dans la mondialisation : vers un nouveau traité à l’ONU ?
La mondialisation économique d’aujourd’hui engendre des gagnants et des perdants [1], mais aussi une asymétrie entre les droits des firmes transnationales et ceux des citoyens qui sont victimes des conséquences de l’opacité des chaînes de production globales – tels que les effondrements d’usines, les marées noires, les accaparements de terres ou les déforestations. Aux quatre coins du monde, des populations qui sont régulièrement victimes de violations de leurs droits fondamentaux n’ont pas accès à la justice, alors qu’une part de la responsabilité émane de sociétés-mères ou donneuses d’ordre à l’autre bout des chaînes d’approvisionnement mondiales.

Pour répondre à ce problème, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté les
Principes directeurs de l’ONU sur les entreprises et les droits humains, approuvés en 2011. Des organisations de la société civile des quatre coins du monde ont lancé un appel en 2013 pour transformer ces principes en réalité via un nouveau traité. Cet appel a été entendu par plusieurs Etats membres de l’ONU, qui ont initié au Conseil des droits de l’homme de l’ONU un processus visant à développer un tel instrument. Ce 23 octobre a débuté à Genève la troisième session du groupe de travail intergouvernemental créé à cet effet.

Un nouveau traité, mais pas n’importe lequel
La session de 2017 est la première session de négociation à proprement parler, du fait que des premiers éléments de texte ont été publiés par le rapporteur et sont discutés. Une large plateforme de la société civile belge regroupant mutuelles de santé, Ligue des droits de l’homme, ONG et syndicats a fait connaître récemment ses positions à ce sujet : ce traité doit inclure des obligations pour les Etats d’agir pour instaurer des mécanismes de remédiation et de sanctions, y compris une juridiction supranationale là où les juridictions nationales font défaut, accessibles aux personnes affectées par les conséquences d’investissements internationaux. Cela implique de donner la primauté aux droits humains – en ce compris les conventions fondamentales de l’OIT – sur le droit commercial et de l’investissement, ainsi que garantir la responsabilité des entreprises à travers la diligence raisonnable tout au long des chaînes d’approvisionnement mondiales.

Un accès à la justice semé d’embuches : de nouveaux instruments nécessaires
Si les principes directeurs de 2011 sont une bonne base de consensus pour avancer vers un traité, ce ne sont que des principes volontaires, qu’il reste dès lors à traduire en actes concrets. Au Bangladesh, l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza a fait 1138 morts et plus de 2000 blessés dans les usines qui y produisaient des vêtements pour de grandes marques occidentales comme Carrefour ou Benetton. Il n’existe pas de recours légal permettant aux victimes d’obtenir justice vis-à-vis de ces marques, toutes les tentatives judiciaires étant restées sans suite. Ce seul cas suffit à démontrer que les instruments existants ne suffisent pas et que ce traité est nécessaire.

À l’heure où les débats se multiplient autour des accords de commerce et d’investissement comme le CETA, de la clause d’arbitrage qu’ils contiennent et de leur compatibilité avec les traités fondamentaux de l’Union européenne, il est urgent de rééquilibrer la hiérarchie des normes du droit international, afin d’assurer que les droits humains priment sur le droit du commerce et de l’investissement. Un tel équilibre est indispensable à une époque où la Commission européenne négocie plusieurs traités avec le Vietnam, le Japon, l’Australie ou le Mercosur, tout en proposant un nouveau tribunal multilatéral permanent sur l’investissement [2].

Une opportunité historique à ne pas manquer
Face à la montée du repli sur soi engendrée par la révolte des « perdants de la mondialisation », l’Union européenne et la Belgique ont un rôle crucial à jouer. Elles doivent se faire les championnes du multilatéralisme et des droits humains. Si la Belgique ne parvient pas à créer un consensus en ce sens au niveau européen, elle devra l’incarner à l’ONU avec les Etats qui sont prêts à saisir cette opportunité historique.

Les gouvernements belges doivent adopter une attitude positive et constructive vis-à-vis de cette négociation et tenter de convaincre les autres Etats membres au sein du Conseil de faire de même. Au niveau européen, il y a ces derniers temps un certain nombre de développements positifs vers une politique commerciale plus équilibrée, y compris un débat sur le renforcement du chapitre sur le le développement durable dans tous les accords de commerce européen. La Commission elle-même affirme qu’elle a entendu la demande de plus de justice dans la mondialisation et qu’elle veut revoir sa politique en la matière. Toutefois, cela restera en grande partie lettre morte si les États membres n’apportent pas un soutien public constructif à ce futur traité sur les entreprises et les droits humains aux Nations unies dès cette semaine.

Par Michel Cermak

A lire sur cncd.be (24/10/2017)