La relocalisation de l’économie


Il faut relocaliser l’économie ! Cette idée fait de plus en plus d’émule dans les rangs des altermondialistes. Le concept est séduisant. Il fait souvent mouche, mais savons-nous pour autant ce que nous voulons dire par relocalisation ? Certains parlent de « circuits courts », d’autres de « monnaie locale » ou encore de « diminution des kilomètres alimentaires ». Autant de concepts qui ont pour leitmotiv de consommer des biens produits le plus près possible de chez nous. L’enjeu principal devient alors le transport des produits. Certains revendiquent alors le droit d’être informé du coût environnemental du transport de ses achats par l’apposition sur les emballages d’un logo « avion rouge » ou du nombre de kilo de CO2 émis par le transport.

Si la nécessité de relocaliser l’économie s’est faites plus pressante face aux enjeux environnementaux, il s’agit aussi et avant tout de questions sociales, économiques et politiques. Les inégalités sociales et économiques sont des enjeux majeurs, au même titre que le réchauffement climatique. Celles-ci se traduisent d’ailleurs par une inégalité environnementale face aux conséquences du réchauffement. Ces enjeux dépassent donc les champs de la production et de la consommation. Ils se situent surtout dans le champ politique et donc citoyen. On parle alors de répartitions de richesses, de droits politiques, économiques, sociaux et environnementaux. Le choix devient alors moins celui d’un produit que celui d’un modèle de développement au Nord comme au Sud.

Consommer local ?

Les problèmes environnementaux sont à la source de la réflexion sur la relocalisation de l’économie. Le réchauffement climatique, les pollutions ou l’épuisement des ressources naturelles sont dus à l’activité humaine. Le mode de vie des populations des pays industrialisés en est la cause principale. Comme le transport représente une part non négligeable (+/- 20%) des rejets de CO2, il devient donc impératif d’agir pour diminuer son impact. Les mouvements de consommateurs responsables demandent dès lors qu’on les informe du nombre de kilomètres alimentaires parcourus par chaque produit. Chacun pourra alors choisir les produits les moins polluants. Vraiment ?

Ce principe a de grosses limites. Un produit local peut en effet contenir beaucoup de kilomètres alimentaires. Une étude allemande [highslide](1;1;;;)Böge : The well-travelled yogurt pot : lessons for new transport policies and regional production, in World transport Policy and practice, Vol. N°1, 1995.[/highslide] a analysé l’impact du transport d’un yaourt aux fraises produit exclusivement en Allemagne. L’étude a montré que le pot de yaourt, pour arriver dans les mains des consommateurs allemands, a parcouru quelques 7857 km en camion en Allemagne ! Le faible cout du transport est évidemment une des causes majeures de ce type d’organisation décentralisée de la production.

De plus, les déplacements des consommateurs constituent l’impact environnemental principal dans le transport des marchandises. A titre indicatif, l’enquête nationale sur la mobilité des ménages (2001) évalue à 2500 le nombre de kilomètres parcourus en voiture par un consommateur pour aller faire ses courses sur une année. De plus, l’efficacité de ce type de transport est extrêmement faible à cause des petites quantités de produits transportée et de la haute fréquence des déplacements. Or, comme il ne s’agit pas d’une caractéristique intrinsèque du produit, ce « détail » n’ets pas pris en compte dans les calculs. Plus que le choix du produit, c’est ici le choix du magasin et du mode de transport pour s’y rendre qui sont cruciaux.

Ensuite, le transport ne représente qu’une partie du coût environnemental des produits. À l’énergie du transport, il faut ajouter l’ « énergie grise », c’est-à-dire l’énergie qui a été nécessaire pour produire ce bien. Ainsi, une tomate cultivée dans nos contrées sous serres à grand renfort de chauffage, pesticides et engrais peut être plus polluante que la même tomate importée en avion d’un pays de l’hémisphère Sud. Les kilomètres alimentaires de la deuxième seront pourtant bien plus élevés. Les circuits courts ne sont donc pas forcément le meilleur choix des consommateurs pour l’environnement. Attention donc aux arguments protectionnistes simplistes.

Pour être efficaces comme consommateurs responsables, nous devons prendre en compte l’analyse du cycle de vie des produits, qui prend en compte l’origine et le type des matières premières utilisées,  les modes de production et de distribution et les déchets générés par leur utilisation (ou non-utilisation d’ailleurs).

Relocaliser aussi pour le Sud

Cet été, la Soil Association -le certificateur de 80% des produits BIO au Royaume Uni- a menacé de retirer son label bio aux filières d’Afrique de l’Est. Motif : les produits sont importés par avion. Comme consommateur responsable et soucieux de l’environnement, nous pourrions nous réjouir de cette décision. Pourtant, la vente d’avocat et de banane bio du Kenya permet d’améliorer grandement la qualité de vie des paysans, comme l’explique Mr Kimani dans le Sunday Times. Malheureusement, si la Soil Association décide d’aller au bout de son idée, elle signifie la mort de la filière bio au Kenya. Le marché intérieur est en effet beaucoup trop faible. Quand on apprend que les importations alimentaires (parmi lesquels les produits bio kenyans) ne représentent que 1% des émissions de CO2 en Grande Bretagne et qu’un citoyen britannique rejette en moyenne 9,4 tonnes de CO2 par an, contre 0,3 pour un Africain, on est en droit de se poser des questions sur le bien fondé de ce débat.

Ce type de restriction est injuste envers les pays du Sud. Ceux-ci sont déjà les principales victimes du réchauffement climatiques (inondations en Haïti, au Bangladesh, sécheresse en Afrique, cyclone dans les Caraîbes, …). Or, ils ne perçoivent aucune compensation malgré la dette écologique des pays industrialisés. En effet, notre planète est capable de « digérer » environ 1,8 tonnes de CO2 par année par habitant. La moyenne actuelle, poussée par le mode de vie des pays industrialisés est pourtant de 4, 3 tonnes. En Belgique, chacun de nous émet en moyenne 13 tonnes par an !

De plus, la moitié de l’humanité (principalement en Asie et en Afrique) vit avec moins de deux dollars par jour. Dans ce contexte, utiliser des arguments écologiques pour freiner l’importation de produits des pays en développement reviendrait donc à organiser un protectionnisme égoïste, voire criminel.

En effet, le fossé se creuse encore entre les riches et les pauvres. Certes, certains pays comme la Chine, le Brésil ou le Vietnam semblent tirer leur épingle du jeu grâce à la protection de certains secteurs économiques. Mais en réalité, les inégalités internes grandissent également chez eux. Il y a donc de moins en moins de gagnants – mais qui gagnent de plus en plus – et de plus en plus de perdants. De plus en plus de travailleurs rejoignent en effet cette catégorie. La course au profit, la dictature des 15% de « retour sur investissement » exigés par les investisseurs et la mise en concurrence des travailleurs et des états aboutissent logiquement aux délocalisations, à la précarisation de l’emploi et à l’affaiblissement des systèmes sociaux. La course effrénée à la croissance économique plonge la majorité d’entre nous dans une spirale négative.

Le commerce équitable Made in dignity vise à casser ce cercle vicieux et à instaurer un processus de développement avec des partenaires du Sud. A Oxfam-Magasins du monde, entre un tiers et la moitié des produits sont importés par avion. Par contre, les modes de production artisanaux principalement basé sur des manipulations manuelles ou un outillage mécanique de base consomment très peu d’énergie grise. Stopper toute importation par avion de produits Made in dignity signifierait notamment l’arrêt du partenariat avec l’Afrique. En effet, ce mode de transport est souvent privilégié avec les partenaires confrontés aux réalités les plus dures, c’est-à-dire ceux qui en ont le plus besoin car fragilisés économiquement notamment à cause du contexte socio-politique. C’est en effet ceux-là qui ont par exemple le plus difficile à respecter les délais de livraisons.

Plutôt que de parler de « circuits courts », concept centré sur le lien géographique, nous devrions plutôt parler de « circuits simplifiés », c’est-à-dire des circuits plus direct entre producteur et consommateur. Des circuits qui limitent les intermédiaires.

Relocaliser : un choix de société !

La consommation responsable est en effet une juxtaposition, un arbitrage entre différents critères :

    - le rapport qualité-prix: durabilité, juste prix, …
    - Les conditions de travail: les droits des travailleurs, les revenus, l’emploi, …
    - La santé: du consommateur, du travailleur, bienfait – nocivité, …
    - L’environnement: l’utilité, la durabilité, processus de production, transport, emballage, …
    - Le modèle culturel: une consommation choisie ou subie, standardisée ou diversifiée, accessible à tous, économie publique ou privée, …

Dans cette approche, la première des questions qui surgit alors n’est pas l’origine ou le mode de transport d’un produit, ni même celle du bilan de son cycle de vie, mais bien la question de la nécessité de le consommer. Relocaliser, c’est donc avant tout remettre en question notre mode de vie. Relocaliser, c’est aussi consommer moins !

L’enjeu de la relocalisation se situe donc au niveau du choix de notre modèle de développement. Il s’agit de rompre cette spirale négative pour en créer une vertueuse, au Nord comme au Sud. Serge Latouche, dans le Pari de la décroissance [highslide](2;2;;;)

LATOUCHE, S. : Le pari de la décroissance. Fayard, Paris, 2006.[/highslide] , lance quelques pistes d’une telle politique :

    - diminue l’empreinte écologique du Nord
    - redistribue équitablement les richesses
    - restitue le patrimoine mondial, notamment par le remboursement de la dette écologique des pays industrialisés
    - permet l’indépendance économique
    - permet une identité culturelle propre au Sud
    - réintroduit des produits et des valeurs « non-économiques »

Autant de pistes qui sont réalisables par des choix politiques  audacieux. Par exemple, internaliser les coûts écologiques dans les prix des biens de consommation favoriserait les modes de production et de vie respectueux de l’environnement. Limiter le pouvoir des multinationales et des investisseurs ou autoriser les pays pauvres à protéger leurs secteurs économiques importants permettrait à ces derniers de retrouver une certaine indépendance et donc leur dignité. Car, en définitive, relocaliser consiste à donner à chacun un rôle d’acteur de son propre développement.

Par Oxfam
A lire sur le site Oxfam Magasins du monde (08/10/07)