Financement participatif : quand les citoyens remplacent les banques
Le financement participatif a connu une très forte progression et semble installé dans le paysage. Il évolue vers une diversification et une professionnalisation, tandis que l’épargne solidaire y prend une place croissante.

Kisskissbankbank, Ulule, HelloAsso, Lendosphere, Wiseed, Lumo, Miimosa, Zeste, Oasis… Le financement participatif et ses plateformes sont devenus banals. D’ailleurs, qui n’a jamais donné, même quelques euros, pour aider à financer le projet d’une amie chère ou d’un cousin éloigné ? Pour le lancement d’un jeu de société, la réalisation d’un film à petit budget, le financement d’une toiture photovoltaïque, d’un voyage au bout du monde, d’une exploitation agricole, ou encore d’un média indépendant ?

Il existe aujourd’hui plus de 150 plateformes actives en France. Et, contrairement à une idée reçue, le financement participatif ne se limite pas au don (avec ou sans contrepartie) : le prêt et l’entrée au capital d’une entreprise en font aussi partie, avec intérêts et dividendes ou sans. Soit toute une panoplie de moyens pour financer un projet (qu’il soit mené par un particulier, une association, une collectivité ou une entreprise) et l’économie dans son ensemble.

« Le principe du financement participatif, c’est de faire appel à la foule [“crowd” en anglais] pour financer un projet identifié par le contributeur sur une plateforme. Peu importe la forme de financement, ce qui compte c’est que ce soit l’épargnant qui ait choisi le projet via une plateforme », précise Florence de Maupeou, coordinatrice de l’association Financement participatif France (FPF), qui entend promouvoir la finance participative et défendre les intérêts de ceux qui s’engagent dans cette voie.

« Cela diversifie les sources de financements »

La finance est ainsi, à son tour, « ubérisée » : plus besoin d’intermédiaire (banque, conseillers financiers, fonds de placement…) ni de dossiers à rallonge, il suffit de faire une demande en ligne, et d’attirer des donateurs ou épargnants. « Grâce aux plateformes web, c’est un geste qui est simple et qui prend deux minutes », explique Ivan Chaleil, directeur commercial de La Nef, qui possède sa propre plateforme de crowdfunding, nommée Zeste. En deux, trois clics, n’importe qui peut ainsi devenir « financeur » (on dit plutôt « contributeur »).

En conséquence, les montants échangés ont suivi une croissance folle. Alors que seulement 8 millions d’euros avaient été collectés en 2011, ils étaient 336 millions en 2017 (selon le baromètre publié par FPF). « L’essor de ces échanges a fait beaucoup parler de lui entre 2010 et 2015, avec des taux de croissance à plus de 100 % l’an. Aujourd’hui, la croissance n’est plus que de 20 % environ, on atteint une certaine maturité du secteur », estime Florence de Maupeou. Mais le don ne représente que 83 millions d’euros de ce montant, contre 58 millions pour l’entrée au capital et 194 pour le prêt. Surtout, tout cela n’est qu’une goutte d’eau par rapport aux centaines de milliards investis de manière classique (prêts bancaires, investissements publics, dons aux ONG, etc.)

Pourquoi cela marche-t-il ? Les projets qui se financent aujourd’hui via le crowdfunding sont souvent ceux qui ne pouvaient pas faire appel à des acteurs plus traditionnels. « Un entrepreneur peut s’adresser à ses futurs clients là où une banque ne lui aurait pas fait confiance », donne comme exemple Florence de Maupeou. Ou bien une association dont le projet ne vise pas la rentabilité, et ne peut supporter un emprunt bancaire. « Cela diversifie les sources de financement : pour les entreprises, être moins dépendantes d’une seule banque ; pour les associations, des subventions », complète Florence de Maupeou.

« Les collectivités ont de plus en plus de mal à maintenir leurs budgets »

Le financement participatif est effectivement arrivé à un moment où les collectivités locales se désengageaient fortement du financement de la vie associative, culturelle ou sportive, et même des petites entreprises. « Le déficit de financement dans les zones rurales est criant. Les collectivités ont de plus en plus de mal à maintenir leurs budgets, tandis que malheureusement le monde de la finance reste extrêmement parisien, constate Christophe Brochot. L’argent coule à flots dans certains projets, il est parfois perdu de manière dramatique, et ceux qui ont des projets de moindre ambition rament pour en trouver. »

Son frère Emmanuel et lui ont lancé en 2017 la plateforme Cocoricauses, dédiée au financement de projets ruraux. « Donner les moyens à des projets de survivre, même si c’est avec 3.000 ou 4.000 euros, c’est une résistance tellement importante… » Les projets financés sur Cocoricauses vont d’un plan d’urgence de sauvetage d’une église à un festival artistique en Auvergne, en passant par des joëlettes, ou une école de mécanique pour réinsérer des jeunes. Ailleurs, ce sont parfois les mairies elles-mêmes qui sollicitent la population, comme à Langouët, qui a eu recours à ce mode de financement dans un contexte de baisse des dotations de l’État et de frilosité bancaire.

Florian Breton a fondé en 2014 Miimosa. Il s’agit de la première plateforme uniquement dédiée à l’agriculture et l’alimentation. « J’ai constaté une fragilisation grandissante des filières, et la nécessité d’offrir des relais de financements aux agriculteurs qui rencontrent des difficultés à se faire financer, notamment ceux qui n’ont pas de garanties à présenter aux banques, ne sont pas accompagnés par la PAC, et souhaitent communiquer sur leur production, fidéliser une communauté. »

Miimosa héberge des projets quelle que soit leur orientation et leur philosophie (leur charte prône l’« impartialité et [la] neutralité », afin « qu’aucun élément de nature discriminatoire ne vienne entraver l’appréciation » des projets). Mais se prépare à lancer Miimosa transition, un programme de financement à destination des grandes exploitations françaises : « L’objectif sera de financer les transitions vers les énergies renouvelables, l’agroécologie, la réduction de l’empreinte carbone, l’agriculture de précision, etc., avec des montants plus importants », explique Florian Breton...

Par Baptiste Giraud (publié le 21/06/2018)
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