Des chercheurs veulent changer l’enseignement de l’économie
Ils ont placardé 70 thèses en ce sens dans les facultés du pays.

Dans tous les domaines d’étude, dans toutes les facultés, il existe logiquement différents courants et approches. Les études économiques présentent cependant à cet égard une certaine particularité: s’y font face davantage qu’ailleurs une approche dite orthodoxe, majoritaire ou néoclassique de l’économie, qui détient un quasi­monopole sur la recherche et sur l’enseignement, et différents courants hétérodoxes qui peinent à se faire une place dans les programmes et les manuels de cours.

C’est pour bousculer ce qu’ils considèrent être une hégémonie que plus de 80 étudiants, chercheurs et professionnels, tous membres du réseau “Rethinking Econonomics Belgium”, ont placardé ces deux dernières semaines 70 thèses dans différentes facultés du pays. Et cela, en mé­moire des 500 ans de la Réforme protestante, lancée par les 95 thèses de Luther placardées sur l’église de Wittemberg.

Au-­delà du propos tenu par ces différentes thèses (que l’on peut trouver sur le site http://rethinkingeconomics.be), l’objectif avoué de la démarche est de bousculer l’approche de l’économie privilégiée aujourd’hui.

Mieux penser les enjeux actuels

“Ce que nous espérons, souligne Zoé Evrard, l’une des porte­paroles du réseau, c’est retrouver un triple pluralisme. Un pluralisme au niveau des théories enseignées, au niveau
des méthodes utilisées pour penser l’économie, et enfin au niveau de l’interdisciplinarité.”


Au niveau des théories, le réseau plaide pour l’inclusion, dans les programmes de cours, de théories issues de courants alternatifs tels que l’économie post­keynésienne
ou l’économie écologique aujourd’hui très peu enseignés.

Au niveau des méthodes, “Rethinking Econonomics” souhaite bousculer l’hégémonie de l’approche quantitative et théorique, qui aborde l’économie essentiellement par le biais des mathématiques. Le réseau souhaite intégrer dans les méthodologies de recherches une approche plus diverse via des enquêtes sur le terrain, ou en intégrant l’histoire. “C’est en ce sens que nous plaidons pour un troisième pluralisme qui est celui de l’interdisciplinarité. Celle-­ci permettrait de croiser les regards sur l’économie.

Cela est d’autant plus important que l’approche actuelle de l’économie, souvent favorable au marché, ne permet pas de répondre aux grands enjeux sociaux et écologiques actuels”, regrette un autre chercheur belge qui préfère garder l’anonymat.

L’attrait des mathématiques

Ces 70 thèses auront­-elles le même impact que celles du théologien allemand ? “La démarche est intéressante et légitime. Elle nous pousse à réfléchir”, reconnaît Sophie Béreau, professeure de finance à l’UNamur, et chargée de mener un groupe de réflexion dans sa faculté pour repenser l’enseignement de l’économie et de la gestion afin de préparer au mieux les étudiants au défi de la transition écologique et sociétale. “Il est en effet souhaitable d’aborder l’économie de manière plus large, et sans doute davantage comme une science sociale. Il est vrai aussi que c’est difficile de faire bouger les lignes car les courants orthodoxes et hétérodoxes s’ignorent la plupart du temps, tant ils ne parlent pas le même langage. De plus, toutes les approches hétérodoxes de l’économie ne se valent pas, notamment parce qu’elles n’offrent pas toujours la même rigueur que l’approche improprement appelée néoclassique qui s’appuie, pour une large part,
sur la formalisation mathématique. Cela en fait sa grande force d’attraction – pour la puissance analytique de ses raisonnements, et sa capacité à tirer des formulations générales ou des prédictions théoriques –, mais aussi sa grande limite, les mathématiques n’étant pas le seul outil pertinent pour caractériser les comportements humains.


Si donc le constat de “Rethinking Econonomics” apparaît à certains comme fondé, leur chemin s’annonce long. D’autant plus long que l’idéologie libérale qui sous-­tend l’approche actuelle de l’économie correspond à l’esprit politique du temps. Néanmoins, le monde universitaire belge ne se présente pas comme absolument monolithique. L’existence de
groupes de réflexion à l’UNamur en est l’une des preuves.

Par la Libre Belgique

Lire sur le site de Rethinking Economics (08/01/2018)