Comment rendre le revenu inconditionnel écologiste, socialiste, et démocratique
Le revenu de base a fait son entrée dans le débat de la campagne présidentielle, mais ses contours possibles sont multiples. L’auteur de cette tribune détaille les contours d’un revenu inconditionnel qui serait écologique, socialiste et démocratique.

Il faut reconnaître que grâce à Benoît Hamon, le débat sur le revenu de base, allocation universelle, garantie, minimum… a fait une entrée fracassante dans le débat médiatico-politique, en tous cas parmi les candidats classés à gauche. Tant mieux.

Les amis de la décroissance font partie des plus anciens défenseurs d’une proposition de revenu inconditionnel (RI). Certes, pas tous ; mais pour un très grand nombre d’entre nous, cette proposition est tout à fait cohérente avec une critique à la fois écologiste, socialiste et démocratique du monde de la croissance.

Au sens le plus large, un revenu inconditionnel (RI) serait une somme d’argent versée, de la naissance à la mort, périodiquement, de manière individuelle, sans aucune contrepartie, à tous les membres d’un territoire. Pour ne pas courir le risque de le confondre avec une de ses variantes libérales, il faut écarter trois risques : la monétarisation de toute activité d’utilité sociale ; un montant insuffisant qui ne serait qu’une aubaine accordée au Capital (tant administrativement qu’économiquement) ; une mesure coupée d’une politique beaucoup plus générale portant sur la richesse.

C’est pourquoi nous ajoutons au concept de revenu inconditionnel que :

1.le versement pourrait être effectué en trois parts (« monnaie publique », monnaie locale et gratuités) ;
2.le montant doit être décent ;
3.pas de revenu inconditionnel (plancher) sans revenu maximum inconditionnel (plafond). Ce triple ajout fait passer du RI au revenu inconditionnel (doublement) suffisant (RIS).

Détaillons ces propositions :

1.Nous ne sommes pas favorables à ce que tout le revenu inconditionnel soit distribué seulement en gratuités, même si elles sont la juste fourniture mutualisée des moyens de base dont chacun a besoin pour s’émanciper. Car toute gratuité doit anticiper trois « dommages » intrinsèques : fléchage, flicage et gaspillage. Il faut donc en passer aussi par la monnaie : les pistes de la « monnaie publique » (refuser la création monétaire au secteur bancaire et la réserver à une autorité monétaire contrôlée par le « public ») et des monnaies locales (la lenteur et la proximité plutôt que le gain et la liquidité à tout prix) doivent être explorées.
2.En dessous d’un certain plancher, le risque du chantage à l’emploi n’est pas écarté. En même temps, pour rester sous les seuils de soutenabilité écologique, il ne faut pas dépasser un certain plafond. 1.000 €/mois, c’est écologiquement soutenable : Ouf ! Quant au financement, il n’est pas impossible : en France, le PIB par habitant est d’environ 34.000 €/an, pour un revenu disponible moyen (le « niveau de vie ») d’environ 24.000 €/an. La proposition du RIS est politiquement une revendication qui porte sur ce qui doit revenir légitimement à chacun : un revenu, c’est un dû !
3.Mais alors vous faites passer l’économie après l’écologie ? Oui. Et même après le social ! Il ne peut pas y avoir de vie commune quand certains s’approprient illégitimement des revenus et des patrimoines « hors du commun ». Voilà pourquoi les décroissants, sans cacher un goût pour la limitation en tant que telle, combattent en faveur d’une double suffisance du RI. Oui à un plancher : quand ce n’est pas suffisant, il faut que la société s’organise pour que chacun, sans condition, ait assez pour réaliser ce qu’il conçoit être sa « vie bonne », en tenant compte de ses capacités. Oui à un plafond des revenus : « Ça suffit, vous possédez trop, il faut que ce trop “revienne” dans l’espace du commun. »

La fable bourgeoise de la reconnaissance sociale par le travail

Nul besoin de réclamer un « labeur » en contrepartie du RIS. Libérés de la fable libérale selon laquelle « seul le travail serait la source de la valeur », nous pensons au contraire que tout membre d’une société, quelle que soit son activité (si elle n’a pas été invalidée socialement et juridiquement comme « illicite »), contribue déjà à la production, la conservation et la protection d’une société. Il faut quand même beaucoup de mauvaise foi (ou de « vie abstraite ») pour laisser croire que seuls les « travailleurs » par leur « travail » contribueraient à la production réelle de la « richesse » ; comment ne pas voir la parenté de cette illusion avec celle que se racontent les « riches » pour justifier leur appropriation indécente de la plus grosse part de la valeur ajoutée ?

Nous abandonnons donc aussi la fable bourgeoise de la reconnaissance sociale par le travail. La question n’est pas de savoir si un travailleur peut ou non quelquefois éprouver de l’estime de soi — heureusement que oui —, c’est celle de savoir pourquoi les « travaillistes » se montrent si effrayés devant la proposition du RIS : « Mais alors plus personne ne voudra travailler ? » Comment mieux avouer que le travail est d’abord une activité contrainte et pénible ?

C’est à une société juste, responsable et démocratique de garantir à tous ses membres une existence décente. Ce qui fait « société » ce n’est pas la liberté de chacun de ses membres de « vivre comme il l’entend », c’est la vie commune au sein d’un monde commun ; l’intérêt émancipatoire d’un RIS est directement la visée d’une société sans misère, ni exclusion, ni exploitation.

En tant que décroissants, écologistes et socialistes, nous tendons la main à la discussion et nous suggérons quelques pistes pour accompagner un processus de sevrage de l’« économisme » et autre « travaillisme » : et si nous commencions par discuter d’un droit inconditionnel au temps partiel, d’un réel partage des tâches pénibles, d’un droit inconditionnel à une retraite d’un montant unique à partir (au maximum) de 60 ans ?

Par Michel Lepesant

LIre sur Reporterre (15/02/2017)