Les peuples indigènes dénoncent l’arnaque des marchés carbone
Quatrième jour à Glasgow. Les leaders mondiaux sont tous rentrés chez eux – en avion — mais les discussions se poursuivent à la COP26, le grand sommet sur le climat qui se tient jusqu’au 12 novembre. Après les annonces des jours derniers sur la lutte contre la déforestation (une centaine de dirigeants mondiaux se sont engagés lundi 1e novembre à enrayer la déforestation d’ici à 2030) et sur la réduction des émissions de méthane, la journée de mercredi fut plus technique. Thématique ? Comment la finance peut lutter contre le réchauffement climatique. Comme d’habitude, les kilomètres de couloirs qu’abrite le Scottish Event Campus menaient à de multiples conférences, débats, interviews et autres séances plénières, où il est parfois difficile de se repérer. Un sujet épineux a émergé des discussions : les marchés du carbone. Ces mécanismes permettent aux États et aux entreprises de compenser leurs émissions en achetant des quotas ou en investissant dans des projets de protection de l’environnement.

L’enthousiasme pour le dispositif n’est pas partagé. À l’entrée du site principal, des populations indigènes sont venues protester tôt le matin contre ce qu’elles estiment être un projet destructeur pour leurs communautés. « Les marchés carbone ne sont pas la solution, seulement une excuse pour permettre aux pays les plus pollueurs de continuer à extraire des énergies fossiles du sol », a commencé l’activiste de longue date Tom Goldtooth, directeur exécutif de l’Indigenous Environnemental Network. Regroupés en cercle derrière lui, plusieurs représentants de communautés péruviennes, d’Alaska ou du Canada brandissaient une pleine page du journal Financial Times sur laquelle figure une militante indienne, le regard déterminé. Le titre : « La compensation du carbone nous détruit. » La dizaine de militants présents portaient les habits traditionnels. Plusieurs d’entre eux ont pris la parole, le plus souvent en anglais mais également en portugais ou en espagnol, avec ce même refrain : les ressources fossiles doivent rester dans le sol. La seule solution pour atteindre la neutralité carbone est la réduction des émissions. En arrière-fond, une manifestation d’Extinction Rebellion résonnait, aux sons d’un tambour.

Le marché du carbone renaît de ses cendres

Eriel Deranger, directrice exécutive de l’organisation Indigenous Climate Action, s’est emparée du micro, la voix étranglée par l’émotion : « Ils nous disent que ce n’est pas grave parce que leurs émissions sont compensées. Ils essaient de nous acheter avec de l’argent mais ce qui nous rend heureux, c’est notre culture et notre identité. » À la fin de son discours, elle a expliqué que les marchés du carbone, en plus de permettre aux compagnies pétrolières et gazières de continuer leurs forages, chassent les populations indigènes de leurs territoires. « Ceux qui achètent les forêts et les terres veulent accroître leur capacité de séquestration du carbone. Dans les faits, cela veut dire que les communautés indigènes ne peuvent plus venir y chasser, pêcher ou même venir cueillir des plantes pour se soigner », a-t-elle dit à Reporterre. L’enjeu de cette COP26 : l’adoption, ou non, de règles robustes encadrant les marchés carbone, afin qu’ils ne contrecarrent pas les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

« Cela montre que la société civile passe en dernier »

Les discussions ont dû, en tout cas, manquer de nuance : les ONG n’ont pas pu participer aux rencontres. Motif ? Les jauges, en raison du Covid. Cela a été annoncé à la dernière minute par le Royaume-Uni, le pays hôte de la COP. Aurore Mathieu, du Réseau Action Climat, rencontrée à l’extérieur des salles de réunion, nous a indiqué que seuls quatre tickets d’accès avaient été accordés pour des milliers de militants environnementaux. « Cela montre que la société civile passe en dernier », soulignait-elle. Surtout que le site internet sur lequel les rencontres devaient être rediffusées en direct fonctionnait mal. Pour les journalistes, la situation n’est guère plus simple. Certaines conférences importantes débutent à 9 h : une marée humaine s’agglutine alors autour de l’entrée principale, imposant aux participants d’attendre jusqu’à 1 h 30 avant de pouvoir mettre un pied dans le bâtiment.

Face à ces complications, même les employés ne semblent pas en mesure de fournir des réponses aux problèmes techniques. Le secrétariat des Nations Unies a envoyé un mot d’excuse mardi 2 novembre. Et s’est fendu d’un conseil : en cas de pluie, prenez le nécessaire. Même en période de réchauffement climatique, l’Écosse reste l’Écosse.
Compensation carbone, Greta Thunberg facétieuse, rebond des émissions en 2021… les autres actualités de la COP :

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Chili, Égypte, Pologne… À la COP26, une coalition de 190 pays et organisations s’est engagée à sortir de l’énergie au charbon à partir de 2030. La Chine et la France n’en font pas partie. Lire notre article ici.

    La finance promet d’atteindre la neutralité carbone en 2050…

Mercredi, 450 acteurs financiers se sont engagés à atteindre la neutralité carbone (ou le net-zéro) à l’horizon 2050. En d’autres termes, ces banques, assurances et gestionnaires d’actifs, qui représentent quelque 130 000 milliards de dollars d’actifs, s’engagent à atteindre un équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre qu’ils émettent et celles qui seront retirées de l’atmosphère. Or ces objectifs reposent souvent sur des méthodes controversées dites de « compensation carbone », qui consistent à financer des projets de réduction d’émissions ou de séquestration de carbone.

Ces institutions ont promis de réduire leurs émissions de moitié au cours de cette décennie et se sont engagées à réviser leurs objectifs tous les cinq ans. « Plus de 130 000 milliards de dollars, et pas une seule règle pour empêcher qu’un seul dollar soit investi dans l’expansion des énergies fossiles… », a déploré l’ONG Reclaim Finance, qui indique que ces promesses n’empêcheront pas les investissements dans le charbon ou le pétrole.

    … Greta Thunberg se moque de ces objectifs :

L’activiste suédoise Greta Thunberg, facétieuse, a elle aussi décidé de se mettre au « net-zéro »… sur les gros mots : « J’ai le plaisir d’annoncer que j’ai décidé de devenir net-zéro sur les gros mots. Dans le cas où je dirais quelque chose d’inapproprié, je m’engage à compenser en disant quelque chose de gentil », a-t-elle déclaré sur Twitter. Elle faisait allusion au refrain qu’elle avait entonné au début de la COP, entourée de militants : « Vous pouvez vous mettre votre crise climatique dans le cul. » « Vous pourriez payer quelqu’un d’autre dans quelques années pour dire quelque chose de gentil à votre place », lui a conseillé Doug Parr, directeur de l’unité scientifique de Greenpeace UK.

    Les émissions mondiales de CO2 rebondissent

En pleine COP26, le Global Carbon Project a dévoilé ce jeudi 4 novembre son panorama des émissions mondiales de carbone. Résultat : les émissions devraient rebondir en 2021, sans toutefois retrouver leurs niveaux d’avant la pandémie.

En 2020, les émissions de carbone d’origine fossile avaient chuté de 5,4 % en raison des restrictions et confinements liés au Covid-19. Mais une augmentation de 4,9 % se profile en 2021. En cause : une utilisation accrue du charbon et du gaz. Tous les principaux émetteurs ont vu leurs émissions croître par rapport à 2020, que ce soit la Chine (+4 %), les États-Unis (+7,6 %), l’Union européenne (+7,6 %) et l’Inde (+12,6 %).

    Une fausse Elizabeth II a fermé le robinet de pétrole

À Glasgow, mercredi, des militants de l’organisation Les Amis de la Terre ont manifesté contre l’extraction d’hydrocarbures en mer du Nord. Une fausse reine d’Angleterre était présente : « Un demi-siècle après l’ouverture du robinet du pétrole de la mer du Nord, Sa Majesté la Reine revient aujourd’hui pour le fermer », ont commenté les activistes sur Twitter.

Par COP26, Reporterre (publié le 04/11/2021)
A lire sur le site Anti-K