Protéger les animaux, le meilleur geste barrière contre les pandémies
Pour éviter une multiplication des zoonoses, ces maladies qui se transmettent de l’animal à l’homme comme le Covid-19, il faut lutter contre l’érosion de la biodiversité, le changement climatique et la pauvreté.

« Jusque dans les années 1970, une nouvelle maladie infectieuse émergeait tous les quinze ans », rappelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Aujourd’hui, c’est cinq par an. »

« Entre-t-on dans une ère de confinements chroniques où on aura toujours un masque de rechange dans notre sac ? », se demande alors la réalisatrice Marie-Monique Robin. Une perspective anxiogène qu’elle creuse dans son dernier livre La fabrique des pandémies (La Découverte, 2021), qui préfigure un documentaire en préparation avec la comédienne Juliette Binoche, pour lequel elle a lancé une campagne de crowdfunding.

Comment éviter la survenue de nouvelles pandémies ravageuses ? Les prévenir suppose tout d’abord de prendre conscience du risque, qui est réel. Parmi les maladies infectieuses émergentes, 75 % sont, à l’instar du Covid-19, des zoonoses, autrement dit des maladies transmissibles par les animaux à l’homme, à l’image des Sida, Nipah, Hendra, grippe H5N1, grippe H1N1, Sars, Mers, Ebola, fièvre de la vallée du Rift, chikungunya, dengue, Zika…

La faute à l’accroissement de la population

L’un des principaux facteurs concourant à leur accroissement depuis le début des années 2000 est la modification des écosystèmes. Rodolphe Gozlan, directeur de recherches à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), l’explique par la « forte croissance de la population mondiale ». « A cause de l’extension des villes mais aussi pour augmenter nos ressources agroalimentaires, on empiète de plus en plus sur les territoires naturels et en particulier les forêts et les forêts tropicales », pointe-t-il.

Or, rappelle le scientifique, les écosystèmes tropicaux sont « riches en diversité et présentent des équilibres fragiles entre les différents animaux et habitats ». Des virus et autres pathogènes y sont présents « à bas bruit » par un effet de « dilution ». « Quand un singe ou une chauve-souris porte un virus, celui-ci ne se transmet pas rapidement dans un contexte de forte diversité génétique puisque toutes les espèces ne sont pas de bons réservoirs à pathogènes », relève-t-il. Mais si l’on réduit la diversité des animaux, alors peuvent émerger des hôtes particulièrement transmetteurs.

    Parmi les maladies infectieuses émergentes, 75 % sont, à l’instar du Covid-19, des zoonoses, autrement dit des maladies transmissibles par les animaux à l’homme

Il cite l’exemple de la bilharziose, dont les larves sont transmises à l’homme par des escargots d’eau douce, « sa prégnance est réduite là où la diversité en escargots est forte ». A l’inverse, la disparition des prédateurs (loups, lynx, coyotes, renards et rapaces) entraîne la prolifération des souris à pattes blanches qui sont porteuses de tiques et ainsi transmettent la maladie de Lyme.

Par ailleurs, la déforestation en milieu tropical crée aussi des routes pour la diffusion des virus qui auparavant étaient dans des zones difficilement accessibles.

Les élevages intensifs et industriels augmentent les risques

Ecologue de la santé au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), Serge Morand considère que l’augmentation du nombre d’animaux d’élevage est également un facteur primordial d’émergence des zoonoses. Ainsi, rappelle-t-il, nous sommes passés de 5 milliards de poulets élevés en 1960 à 25 milliards aujourd’hui, sans compter les poules pondeuses.

Comme le précise Rodolphe Gozlan, l’élevage intensif en zones tropicales contribue doublement à la déforestation, car il nécessite des terres à la fois pour abriter les animaux et cultiver les aliments pour les nourrir, comme le soja pour le bétail.

Par ailleurs, par la sélection des lignées à forte croissance, on a tendance à réduire la diversité génétique pour assurer une production maximale. Si ces animaux d’élevage entraient en contact avec des hôtes sauvages porteurs de virus auxquels ils sont sensibles, ils pourraient devenir d’« importants bio-incubateurs ». D’autant qu’ils sont constamment stressés par leurs conditions de vie, donc immunodéprimés, et confinés tout près les uns des autres.

L’élevage industriel participe également à l’émergence des pandémies à cause de la spécialisation des filières. « Aucune ferme ne produit un animal de A à Z. Il existe de multiples sites de production avec une transition des animaux », observe la journaliste Lucile Leclair, auteure de Pandémies, une production industrielle (Seuil, 2020). Pour le foie gras, un canard naît dans une ferme, est élevé dans une autre, gavé ailleurs, avant d’être tué sur un autre site. « Cela favorise la diffusion des virus », remarque-t-elle.

Biosécurité à double tranchant

« La concentration des animaux dans les élevages intensifs favorise les échanges de pathogènes », reconnaît Jean-Luc Angot, président de l’Académie vétérinaire de France. Il estime toutefois que ces systèmes fermés, bâtiments ou grillages, « permettent plus facilement d’appliquer la « biosécurité », qui consiste à contrôler les entrées et les sorties, l’hydrométrie et la ventilation, et ainsi d’éviter tout contact avec la faune sauvage. »

Il cite l’exemple de la peste porcine africaine qui a récemment sévi en Belgique, véhiculée par des sangliers. « Grâce à une clôture bâtie de part et d’autre de la frontière, elle ne s’est pas propagée en France », note-t-il.

La biosécurité est pourtant « une illusion », juge Serge Morand du Cirad. Selon lui, elle favorise l’industrialisation et la concentration des animaux, en augmentant leur densité. Elle entraîne, ajoute-t-il, une disparition des races locales.

C’est, abonde Lucile Leclair, à la fois « un remède et un poison » puisqu’elle encourage la standardisation de la production des animaux. Obligatoire pour les élevages de volaille et de cochon, elle va bientôt être étendue à tous les animaux d’élevage, même si la Confédération paysanne a obtenu en 2018 qu’une version « allégée » de la biosécurité s’applique pour les exploitations de moins de 3 200 volailles.

Le changement climatique nous fragilise

L’écologie serait-elle le meilleur remède contre l’émergence des pandémies ? L’analyse de l’effet du changement climatique le montre également. Par exemple, le fait que dans certaines régions les températures nocturnes minimales remontent permet aux virus de se déplacer vers de nouvelles zones, souligne Rodolphe Gozlan de l’IRD.

    « Il faut revoir notre rapport à la nature et le modèle économique dominant », Marie-Monique Robin

Le réchauffement peut aussi avoir des effets indirects via les inondations qui déplacent les rongeurs, vecteurs d’agents infectieux. Enfin, renchérit Serge Morand, cela crée des niches environnementales nouvelles, favorables aux moustiques. Le moustique-tigre, qui aime les fortes températures, s’est installé en Méditerranée du Nord. En Afrique, la malaria gagne de nouveaux terrains.

Dans ce contexte, il est d’autant plus essentiel de prévenir la survenue de futures pandémies que la vaccination a des limites. Les vaccins sous certaines conditions peuvent créer de la résistance « en sélectionnant certains variants », constate Rodolphe Gozlan. « Il faut éviter ces courses sans fin de vaccins imparfaits », ajoute Serge Morand.

« Les vaccins sont bien sûr nécessaires, commente Marie-Monique Robin, mais ne pourrait-on imaginer qu’une part de l’argent qu’on donne aux laboratoires pharmaceutiques aille à la lutte contre la déforestation et à la bataille contre la pauvreté qui crée une forte pression démographique ? »

Pour Rodolphe Gozlan, il est essentiel d’aider les pays du Sud à se développer, ce qui aura un effet sur la démographie. Marie-Monique Robin ne voit pas d’autre issue : « Il faut revoir notre rapport à la nature et le modèle économique dominant. »

Par NAÏRI NAHAPÉTIAN (publié le 10/03/2021)
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