Contre la réautorisation des néonicotinoïdes, des associations saisissent la justice
Des scientifiques ont eu beau alerter sur leur dangerosité pour les insectes pollinisateurs, les néonicotinoïdes sont bel et bien réautorisés en France depuis le début du mois de février. A titre dérogatoire, pour quatre mois et pour l’enrobage des semences de betteraves sucrières, borne l’arrêté interministériel pris par Barbara Pompili et Julien Denormandie afin d’apaiser les inquiétudes de la filière quant aux baisses de rendements entraînées par le virus de la jaunisse dû à la recrudescence des pucerons.

Néanmoins, la réintroduction «provisoire» de ces pesticides «tueurs d’abeille» (en particulier l’imidaclopride ou le thiaméthoxame, substances actives pourtant bannies dans l’UE) deux ans et demi après l’entrée en vigueur de leur interdiction dans l’Hexagone, est bien un retour en arrière pour la protection de la biodiversité. Et c’est pour cela que les associations environnementales ont décidé de contre-attaquer. Comment ? En saisissant la justice administrative pour tenter d’obtenir la suspension voire l’annulation de l’arrêté contesté issu d’une loi tout aussi controversée.

Référé devant le Conseil d’Etat

Ainsi, six organisations, dont France Nature Environnement (FNE) et Générations futures, ont déposé ce mardi une salve de recours devant les tribunaux administratifs de Lyon et Toulouse pour suspendre en référé l’autorisation de mise sur le marché de ces produits phytopharmaceutiques (le Gaucho et le Cruiser, plus précisément) à destination des betteraviers. C’est dans ces deux villes en effet que se situent les deux sièges français de Bayer et Syngenta, les entreprises commercialisant les deux insecticides. De leurs côtés, Agir pour l’environnement et la Confédération paysanne ont choisi de se tourner vers le Conseil d’Etat avec peu ou prou les mêmes arguments. «On estime que le fait même de réautoriser les néonicotinoïdes ne respecte pas la réglementation européenne, plaide l’agronome Jacques Caplat, secrétaire général d’Agir pour l’environnement. L’arrêté est défaillant voire irrecevable de notre point de vue.»

Que font valoir précisément les associations ? D’abord que la réglementation européenne en vigueur sur les pesticides autorisés sur le marché vaut pour «un usage limité et contrôlé» des produits phytopharmaceutiques dans des «circonstances particulières». Ce qui rend l’arrêté pris pour l’ensemble du territoire non conforme aux textes européens. «Le territoire français a été inégalement touché par les dégâts de la jaunisse et la réponse apportée par dérogation par enrobage des semences avec les néonicotinoïdes les plus dangereux est indifférenciée quelle que soit la zone, cela contrevient complètement à l’exigence du règlement», soutient François Veillerette, le porte-parole de Générations futures. Sans compter que les «mesures d’atténuation» prévues par l’arrêté pour protéger les abeilles, et en fin de compte toute la faune des champs, sont pour le militant écologiste «insuffisantes».

Violation du principe de précaution

Autre grief des défenseurs de l’environnement : les «mauvais calculs» ou les «données erronées», comme l’a révélé le Monde la semaine passée, ayant servi à motiver le bien-fondé de cette dérogation pour la culture de la betterave au détriment des insectes pollinisateurs. «Le risque pour 2021 a été évalué sur des modèles météo qui n’ont pas anticipé le déplacement du vortex polaire avec une descente d’air froid début février. Cela réduit fortement le risque de pucerons et modifie les prévisions, avance encore Jacques Caplat. Et puis, en termes de bénéfice-risque, la réautorisation des néonicotinoïdes est une solution aux dégâts énormes sur la biodiversité tandis que les alternatives aux intrants chimiques n’ont pas été étudiées.» Saisie à cette fin en juin dernier, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) n’a d’ailleurs toujours pas remis son rapport qu’elle aurait dû rendre en octobre.

Et c’est pour cela qu’il s’agit pour les associations requérantes d’une violation manifeste du principe de précaution. «On connaît l’étendue de la toxicité de ces substances pour la biodiversité, en particulier l’entomofaune et les vers de terre. Tout cela est très documenté depuis le début des années 2000, notamment la rémanence des molécules dans les sols et dans l’eau, précise le vice-président de FNE, Jean-David Abel. Cela va donc au-delà du non-respect du principe de précaution et ces atteintes à l’environnement, comme l’effondrement des populations d’insectes, devraient appeler au principe de responsabilité.» Après le feuilleton politique, la saga judiciaire des néonicotinoïdes ne fait que commencer.

Par Florian Bardou (publié le 23/02/2021)
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