« Je suis passée d’une écologie des petits gestes à une écologie qui remet en question le système »
Son jeune âge, 30 ans, et son passé de scout, en ont vite fait l’une des figures médiatiques de la vague écolo aux dernières municipales. C’est pourtant résumer un peu rapidement la victoire de Léonore Moncond’huy à Poitiers. Son succès, dit-elle, est celui de méthodes politiques ambitieuses et innovantes, basées sur l’horizontalité et la transparence. Elle s’en explique longuement dans cet entretien.

Basta !  : Vous êtes devenue tête de liste pour les municipales à la suite d’une « élection sans candidat ». Votre liste, « Poitiers Collectif », s’est distinguée par des méthodes assez innovantes en politique, avec un fonctionnement à la fois horizontal et le plus transparent possible. Qu’apportent tous ces outils participatifs ?

Léonore Moncond’huy [1] : De l’ouverture. Face au rejet de la politique traditionnelle et au sentiment d’exclusion, cela permet l’engagement de nouvelles générations qui ont malgré tout envie de s’investir. Nos réunions étaient ouvertes à tous, les décisions stratégiques prises en public, les programmes votés collectivement, etc. C’est une façon très concrète de dire : « Le système ne vous convient pas ? Changez-le, il vous est ouvert pour ça ». Cela convient bien à l’état d’esprit actuel, à cette défiance envers la politique : ce n’est pas un hasard si, au milieu de cette forte démobilisation électorale – seulement 33% de participation au second tour, ici, à Poitiers – c’est une liste citoyenne et écologiste qui a le plus mobilisé. Les gens ont senti qu’il y avait un vrai renouveau, qu’on se démarquait des façons conventionnelles de faire de la politique et que cela générait une bonne dynamique. On a ouvert grandes les portes du système pour que tous ceux qui veulent changer les choses puissent le faire.

Le plus dur n’est-il pas à venir, désormais élus ? Comment maintenir cette exigence collective dans votre fonctionnement, au quotidien ?

C’est un véritable défi pour nous, on y consacre beaucoup d’énergie. Nous mobilisons les mêmes méthodes que pendant la campagne, à savoir toujours privilégier la décision par consentement, en ayant pris le temps du débat et de l’écoute de chacun. Lorsque ce n’est pas possible, on tranche par un vote. C’est comme ça qu’on procède : information, échange, consentement si possible, et sinon vote. Mais ce qui compte, c’est que ce vote soit éclairé pour tout le monde.

Quand on a anticipé autant que nous la question des programmes, il y a moins de surprises et moins de décisions arbitraires à prendre. On a structuré des feuilles de route, à partir du programme élaboré ensemble pendant toute la campagne. Cela offre une plus grande liberté aux élus pour porter leurs actions, en tant que mandataires du groupe. Le temps joue pour nous : notre groupe s’est construit ensemble pendant deux ans, il se connaît bien, il évolue en confiance. Nous avons acté un principe fondamental de forte délégation aux élus : dès lors qu’il est clair et transparent, chaque élu est libre de mettre en œuvre le programme comme il le souhaite. Cela nous permet aussi de ne pas avoir à se réunir tout le temps pour prendre des décisions…

Pour les petites choses du quotidien, nous poursuivons nos réunions hebdomadaires, avec des ordres du jour participatif : chacun peut mettre un point dont il a besoin de parler en groupe. C’est une forme qui a fait ses preuves et permet de résoudre la plupart des problèmes. On a aussi gardé les outils numériques, Slack en l’occurrence, qu’on s’était fortement approprié pendant la campagne et sur lequel on discute beaucoup. Ça nous permet d’avoir un lieu permanent d’échange et de prendre des micro-décisions, sans se voir. Pour l’instant, en tant que maire, je n’ai jamais eu à prendre une décision unilatérale en matière de stratégie. Concernant les orchidées sur mon bureau, je vous rassure, je ne demande pas l’avis du groupe.

Miser autant de temps et d’énergie sur la décision collective ne peut-il pas s’avérer préjudiciable à l’efficacité de l’action politique ?

De manière générale, je pense qu’une décision est beaucoup plus efficace lorsqu’elle est concertée. C’est parfois contre-productif d’imposer une décision de manière brutale plutôt que de prendre un peu plus de temps pour se mettre autour de la table et en discuter. On le voit avec les éoliennes, par exemple : quand on impose une décision, il y a du rejet de la part des citoyens. En revanche, lorsqu’on les concerte et qu’on discute de l’utilité, de la possibilité des emplacements, on trouve des solutions.

Au-delà de l’idéal politique, la concertation est une question d’efficacité de l’action. Quitte à suspendre des projets pour prendre le temps de la concertation, ce qu’on a déjà fait depuis le début du mandat. L’exercice en mairie peut nécessiter de prendre des décisions immédiates, notamment en matière de gestion de crise, mais je suis convaincue qu’on peut concilier gestion de crise et concertation.

Vous utilisez, et revendiquez clairement, une démarche d’éducation populaire. Pourquoi est-ce un enjeu si important pour vous ?

Mon engagement politique vient de ces pédagogies fondées sur la responsabilisation, l’autonomisation, l’attention portée au collectif et les manières de le faire vivre. De tout ce que l’éducation populaire nous apprend de savoir-vivre, de savoir-faire, de savoir-être. Si notre démarche collective a fonctionné, c’est parce qu’on maîtrise ces outils d’animation et d’intelligence collectives, parce que la plupart des gens impliqués à la base ont été formés dans l’éducation populaire. Souvent, on a l’intention de faire de la concertation et de faire du commun, sans les outils qui vont avec !

Au-delà de la simple méthode, c’est bien sûr l’intention que porte l’éducation populaire : pourquoi veut-on faire de la politique de manière ouverte, transparente ? Parce qu’on veut que tout le monde puisse y participer ! Faire de la pédagogie politique dans l’espace public, cela permet que des catégories sociales qui en sont exclues y reviennent. C’est vraiment ça, notre objectif : faire de l’éducation populaire appliquée à la politique pour que chacun y participe.

C’est dans cette même logique que vous défendez la création d’une assemblée citoyenne composée de 150 habitants, qui ressemble étrangement à la Convention citoyenne pour le climat…

L’initiative de la Convention citoyenne pour le climat est formidable, cela a objectivé un certain nombre de réponses au changement climatique tout en démontrant que le bon sens citoyen pouvait se révéler bien plus ambitieux que les pouvoirs politiques censés le représenter. Il y a des propositions qu’on n’aurait même pas osé mettre, nous-mêmes, dans un programme par peur des réactions. Cela témoigne que la société est mûre pour un changement écologique assez radical. C’est à nous, politiques, de trouver les formes pour capter cette envie citoyenne d’écologie. Le problème, c’est que Macron détruit complètement les apports d’une telle démarche en ne respectant pas ses engagements. Il n’y a pas pire pour accentuer un sentiment de défiance. Ce qui est totalement contre-productif.

L’enjeu pour nous, à Poitiers, est de redonner concrètement une place au citoyen, non-élu, dans la décision municipale. Il ne s’agit pas d’ajouter une couche supplémentaire au millefeuille des instances de démocratie participative qui existent déjà : on a fait le diagnostic pendant la campagne que ça ne marche pas parce que les gens ont l’impression que ça n’a pas d’impact, que ce n’était pas pris en compte. On souhaite donc que cette assemblée citoyenne puisse avoir une place de droit au conseil municipal, où elle pourra interpeller directement les élus et traiter des référendums d’initiative locale. Elle sera composée d’un tiers de personnes issues d’instances déjà existantes (le conseil communal des jeunes, le comité de quartier...), d’un tiers de personnes volontaires, qui auraient envie de faire mûrir leurs engagements dans un espace plus politique, et d’un tiers de tirés au sort...

Par Barnabé Binctin (publié le 03/11/2020)
Lire la suite sur le site Basta