Un salaire étudiant pour « refuser que les études supérieures soient fermées à certains groupes sociaux"
 Basta ! : Cette rentrée universitaire inaugure les nouveau frais d’inscription décuplés pour les étudiants étrangers non-européens - 2770 pour la licence, 3770 euros en master, contre 170 euros et 243 euros pour les étudiants français et de l’Union européenne. Comment l’idée d’augmenter les frais d’inscription a-t-elle réussi à s’imposer ?

Aurélien Casta [1] : Il y avait déjà le projet de loi Devaquet dans les années 1980 [le projet de loi de 1986 d’Alain Devaquet, ministre de l’Enseignement supérieur du gouvernement de Jacques Chirac, voulait introduire la sélection à l’entrée des universités et leur donner la possibilité de fixer elles-mêmes leurs droits d’inscriptions, ndlr]. Il a été abandonné suite à un mouvement social massif. Ensuite, jusqu’à la fin des années 1990, seuls des acteurs classés à droite ou à l’extrême droite continuaient à défendre une hausse des droits d’inscriptions. Puis, les directeurs d’établissements ont repris l’idée, qu’il s’agisse de présidents d’universités publiques ou de directeurs de grandes écoles publiques et privées. La Conférence des grandes écoles et celle des présidents d’universités publiques ont commencé à travailler sur la hausse des frais d’inscription. À la fin des années 2000, des groupes de réflexion de droite comme de gauche, l’Institut Montaigne, Terra Nova, et des groupes patronaux comme l’Institut de l’entreprise, ont appuyé cette demande.

Les présidents d’universités ont-ils rallié l’idée d’une hausse des inscriptions parce que les financements publics des universités se réduisaient ?

Ce qui est certain, c’est qu’à partir du milieu des années 1990, des rapports d’experts commandés par les ministères annoncent que les subventions publiques aux établissements n’allaient pas pouvoir suivre la hausse des effectifs étudiants, et qu’il y aurait un problème de financement. C’est notamment ce que dit le rapport Laurent dès 1994 (du nom de Daniel Laurent, alors président de l’université de Marne-la-Vallée : "Universités, relever les défis du nombre" [2]). Ces rapports ont été communiqués aux présidents des universités pour les acclimater à la situation.

Les universités britanniques n’ont pas toujours été payantes et chères comme aujourd’hui. Comment cela s’est-il passé au Royaume-Uni ? La France suit-elle le même processus ?

Après-guerre, la Grande-Bretagne a démocratisé l’enseignement supérieur. Cela a reposé jusqu’en 1997 sur un système qui garantissaient à la fois la gratuité des études pour les étudiants à temps plein, et le versement d’une prestation aux étudiants. Celle-ci représentait jusqu’à deux fois l’équivalent des bourses françaises sur critères sociaux, soit 6000 à 7000 euros par an pour les frais de vie courante pour les personnes issues des milieux les moins favorisés.

La première mesure décisive a été prise sous le gouvernement de Margaret Thatcher en 1982. Il s’agissait d’une déréglementation des frais d’inscription demandés au étudiants étrangers non-européens. Ce qui résonne évidemment avec ce qui se passe en France aujourd’hui. De cette décision résulta une hausse considérable des frais pour cette catégorie d’étudiants. Ensuite, le gouvernement Thatcher n’a pas réussi à aller plus loin. Il n’a pas pu imposer la même mesure aux ressortissants britanniques. La relance du projet a lieu à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Ce sont là-aussi les présidents d’universités qui ont pris position publiquement pour la hausse des frais d’inscriptions et la mise en place en parallèle d’un système de prêts. Ils ont été suivis par le parti travailliste.

Quels étaient les arguments des travaillistes, la gauche britannique, pour soutenir cela ?

Le principal argument qui a pu susciter l’adhésion venait du débat autour de la justice sociale. Au début des années 1990, la nouvelle génération de travaillistes, notamment Tony Blair et Gordon Brown, affirment que le système de gratuité est injuste, car ce sont les personnes issues des milieux favorisés qui vont à l’université et qui bénéficient donc de cette gratuité. Celle-ci est financée par la collectivité, y compris les ménages populaires. Selon eux, il était temps de remettre en cause cette politique. Cet argument fait cependant l’impasse sur un fait incontestable : pendant les années 1970 et 1980, les ménages populaires, et les femmes, ont eu de plus en plus accès aux universités. Les travaillistes ont au contraire affirmé que l’enseignement supérieur ne serait jamais ouvert à toutes et à tous, et qu’en conséquence, il faut le faire payer à ceux qui y ont accès car ils en ont les moyens. Voilà le tournant idéologique...

Par Rachel Knaebel
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