15 Juil 2020
Grâce aux mobilisations Black Lives Matter qui ont lieu en 2020 à l’échelle internationale contre le racisme en général, et la négrophobie en particulier, de plus en plus de personnes cherchent à connaître la vérité sur le passé ténébreux des puissances coloniales et la continuité néo-coloniale dans les temps présents. Des statues de personnages emblématiques du colonialisme européen sont déboulonnées ou font l’objet de dénonciations salutaires. Il en va de même avec des statues de personnages qui, aux États-Unis, symbolisent l’esclavage et le racisme. ReCommonsEurope se réjouit de toutes les initiatives et actions qui visent à dénoncer les crimes coloniaux, cherchent à établir la vérité sur les atrocités passées, mettent en évidence les instruments du néo-colonialisme et toutes les formes de résistance du passé jusqu’à aujourd’hui, demandent des réparations et exigent la fin de toutes les formes de discrimination à l’égard des peuples victimes du colonialisme et du néo-colonialisme.
Le 30 juin 2020, à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance du Congo, la nouvelle a fait le tour de la planète : Philippe, roi des Belges, a exprimé dans une lettre adressée au chef de l’État et au peuple congolais des regrets pour le passé colonial et en particulier pour la période pendant laquelle Léopold II possédait personnellement le Congo (1885-1908).
Voici le passage principal de cette lettre : « A l’époque de l’État indépendant du Congo, des actes de violence et de cruauté ont été commis, qui pèsent encore sur notre mémoire collective. La période coloniale qui a suivi a également causé des souffrances et des humiliations. Je tiens à exprimer mes plus profonds regrets pour ces blessures du passé dont la douleur est aujourd’hui ravivée par les discriminations encore trop présentes dans nos sociétés. Je continuerai à combattre toutes les formes de racisme » (voir https://plus.lesoir.be/310315/article/2020-06-30/le-roi-reconnait-les-actes-de-cruaute-commis-au-congo-sous-leopold-ii ). Cette intervention du Roi des Belges est un des résultats de l’immense mouvement international de prise de conscience et de mobilisation qui a marqué la fin du mois de mai et tout le mois de juin 2020 depuis l’assassinat de George Floyd par la police aux États-Unis. Cette déclaration est totalement insuffisante car elle ne désigne pas explicitement de coupables, le roi Léopold II n’est même pas mentionné. Philippe ne présente pas des excuses et ne propose pas que la famille royale et / ou l’État belge versent des réparations. Il n’est pas question de rétrocéder non plus les biens volés au peuple congolais du temps de la domination de Léopold II sur le Congo et du temps de la période coloniale pendant laquelle le Congo a fait partie de la Belgique (1908-1960). Une partie de ces biens se trouvent au Musée de Tervuren ou dans des collections privées. Philippe ne propose pas de déboulonner les statues de colonisateurs et autres symboles de l’époque coloniale dans l’espace public belge ou tout au moins de les accompagner de plaques expliquant publiquement les horreurs de la période coloniale.
Le président français, Emmanuel Macron, s’oppose de son côté au déboulonnage des statues de personnages historiques, comme Colbert, qui ont fait la promotion de l’esclave et de la traite négrière.
Un énorme travail reste à accomplir.
1. Le lourd passé esclavagiste et colonial européen et le néocolonialisme : dettes historiques, morales et coloniales
Le commerce triangulaire [1] (Europe, Afrique, Amériques) était motivé par la recherche du développement capitaliste des métropoles coloniales.
Pendant plus de 400 ans, plus de 12 millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont été victimes de la dramatique traite transatlantique des esclaves. Les femmes esclaves, en particulier, portaient un triple fardeau : outre le travail forcé dans des conditions difficiles, elles subissaient des formes de discrimination et d’exploitation sexuelle extrêmement cruelles, du fait de leur sexe et de leur couleur de peau.
"Les puissances coloniales ont recouru au mécanisme de la dette pour maintenir les anciennes colonies dans une conjoncture économique coercitive [...] Cela s’est fait en violation du droit international"
À la suite de l’abolition de l’esclavage en différentes étapes au cours du 19e siècle, les pays européens, par le biais de massacres, colonisent le continent africain et le divisent à la Conférence de Berlin qui se tient en 1884-1885. La colonisation de l’Afrique a entraîné des génocides, l’exploitation des populations, un extractivisme destructeur des ressources et des biotopes, une oppression culturelle et cultuelle.
Mais ce n’est pas tout : les puissances coloniales ont également recouru au mécanisme de la dette pour maintenir les anciennes colonies dans une conjoncture économique coercitive. La Banque mondiale a été directement impliquée dans certaines dettes coloniales. Au cours des années 1950 et 60, elle a octroyé des prêts aux puissances coloniales pour des projets permettant aux métropoles de maximiser l’exploitation de leurs colonies. Une partie des dettes contractées auprès de cette banque par les autorités belges, britanniques et françaises pour leurs colonies ont ensuite été transférées aux pays qui accédaient à leur indépendance, sans leur consentement. Ainsi, les anciennes colonies ont été tenues de rembourser aux États colonisateurs les dettes que ces derniers avaient contractées pour les exploiter. Cela s’est fait en violation du droit international. Ces dettes n’ont pourtant pas été annulées. De plus, la Banque mondiale a refusé de suivre une résolution adoptée en 1965 par l’ONU lui enjoignant de ne plus soutenir le Portugal tant que celui-ci ne renonçait pas à sa politique coloniale [2].
Un des cas les plus frappants de dettes coloniales est celui d’Haïti. En 1804, l’indépendance est obtenue, face à l’impérialisme français, par la rébellion d’esclaves menée entre autres par Toussaint Louverture (le cas d’Haïti est particulièrement emblématique dans la mesure où ce sont les esclaves eux-mêmes qui ont arraché leur liberté). Vingt-et-un ans après, en 1825, la France a imposé à son ancienne colonie une indemnité de 150 millions de francs-or, en la menaçant d’une invasion militaire et d’une restauration de l’esclavage. Le poids de cette dette pèse toujours sur Haïti et sa population. La France voulait des compensations financières pour le manque à gagner résultant de l’abolition de l’esclavage à Haïti. Ce sont donc les anciens esclavagistes qui ont obtenu des « réparations » et non les personnes mises en esclavage.
Le Royaume-Uni n’a pas agi autrement. Après l’abolition de l’esclavage dans les colonies à partir de 1833, quelque 3 000 familles propriétaires d’esclaves ont reçu 20 millions de livres, soit plus de 16 milliards de livres d’aujourd’hui, pour leur perte de « biens », les biens en question étant des esclaves africains. Loin d’appartenir au passé, cet épisode est très actuel puisque le gouvernement britannique a terminé de payer les derniers versements du prêt pour l’abolition de l’esclavage le 15 février 2015, alors même que le premier ministre David Cameron invitait les Jamaïcains, dans un discours devant le Parlement Jamaïcain tenu le 30 septembre 2015, à considérer que l’esclavage appartenait au passé et qu’il était temps de « s’en remettre » [3]. L’Espagne a elle aussi réclamé un dédommagement important au Maroc pour son retrait du territoire de Tétouan en 1860, sous occupation espagnole depuis des années...
Par ReCommons Europe (publié le 09/07/2020)
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Le 30 juin 2020, à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance du Congo, la nouvelle a fait le tour de la planète : Philippe, roi des Belges, a exprimé dans une lettre adressée au chef de l’État et au peuple congolais des regrets pour le passé colonial et en particulier pour la période pendant laquelle Léopold II possédait personnellement le Congo (1885-1908).
Voici le passage principal de cette lettre : « A l’époque de l’État indépendant du Congo, des actes de violence et de cruauté ont été commis, qui pèsent encore sur notre mémoire collective. La période coloniale qui a suivi a également causé des souffrances et des humiliations. Je tiens à exprimer mes plus profonds regrets pour ces blessures du passé dont la douleur est aujourd’hui ravivée par les discriminations encore trop présentes dans nos sociétés. Je continuerai à combattre toutes les formes de racisme » (voir https://plus.lesoir.be/310315/article/2020-06-30/le-roi-reconnait-les-actes-de-cruaute-commis-au-congo-sous-leopold-ii ). Cette intervention du Roi des Belges est un des résultats de l’immense mouvement international de prise de conscience et de mobilisation qui a marqué la fin du mois de mai et tout le mois de juin 2020 depuis l’assassinat de George Floyd par la police aux États-Unis. Cette déclaration est totalement insuffisante car elle ne désigne pas explicitement de coupables, le roi Léopold II n’est même pas mentionné. Philippe ne présente pas des excuses et ne propose pas que la famille royale et / ou l’État belge versent des réparations. Il n’est pas question de rétrocéder non plus les biens volés au peuple congolais du temps de la domination de Léopold II sur le Congo et du temps de la période coloniale pendant laquelle le Congo a fait partie de la Belgique (1908-1960). Une partie de ces biens se trouvent au Musée de Tervuren ou dans des collections privées. Philippe ne propose pas de déboulonner les statues de colonisateurs et autres symboles de l’époque coloniale dans l’espace public belge ou tout au moins de les accompagner de plaques expliquant publiquement les horreurs de la période coloniale.
Le président français, Emmanuel Macron, s’oppose de son côté au déboulonnage des statues de personnages historiques, comme Colbert, qui ont fait la promotion de l’esclave et de la traite négrière.
Un énorme travail reste à accomplir.
1. Le lourd passé esclavagiste et colonial européen et le néocolonialisme : dettes historiques, morales et coloniales
Le commerce triangulaire [1] (Europe, Afrique, Amériques) était motivé par la recherche du développement capitaliste des métropoles coloniales.
Pendant plus de 400 ans, plus de 12 millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont été victimes de la dramatique traite transatlantique des esclaves. Les femmes esclaves, en particulier, portaient un triple fardeau : outre le travail forcé dans des conditions difficiles, elles subissaient des formes de discrimination et d’exploitation sexuelle extrêmement cruelles, du fait de leur sexe et de leur couleur de peau.
"Les puissances coloniales ont recouru au mécanisme de la dette pour maintenir les anciennes colonies dans une conjoncture économique coercitive [...] Cela s’est fait en violation du droit international"
À la suite de l’abolition de l’esclavage en différentes étapes au cours du 19e siècle, les pays européens, par le biais de massacres, colonisent le continent africain et le divisent à la Conférence de Berlin qui se tient en 1884-1885. La colonisation de l’Afrique a entraîné des génocides, l’exploitation des populations, un extractivisme destructeur des ressources et des biotopes, une oppression culturelle et cultuelle.
Mais ce n’est pas tout : les puissances coloniales ont également recouru au mécanisme de la dette pour maintenir les anciennes colonies dans une conjoncture économique coercitive. La Banque mondiale a été directement impliquée dans certaines dettes coloniales. Au cours des années 1950 et 60, elle a octroyé des prêts aux puissances coloniales pour des projets permettant aux métropoles de maximiser l’exploitation de leurs colonies. Une partie des dettes contractées auprès de cette banque par les autorités belges, britanniques et françaises pour leurs colonies ont ensuite été transférées aux pays qui accédaient à leur indépendance, sans leur consentement. Ainsi, les anciennes colonies ont été tenues de rembourser aux États colonisateurs les dettes que ces derniers avaient contractées pour les exploiter. Cela s’est fait en violation du droit international. Ces dettes n’ont pourtant pas été annulées. De plus, la Banque mondiale a refusé de suivre une résolution adoptée en 1965 par l’ONU lui enjoignant de ne plus soutenir le Portugal tant que celui-ci ne renonçait pas à sa politique coloniale [2].
Un des cas les plus frappants de dettes coloniales est celui d’Haïti. En 1804, l’indépendance est obtenue, face à l’impérialisme français, par la rébellion d’esclaves menée entre autres par Toussaint Louverture (le cas d’Haïti est particulièrement emblématique dans la mesure où ce sont les esclaves eux-mêmes qui ont arraché leur liberté). Vingt-et-un ans après, en 1825, la France a imposé à son ancienne colonie une indemnité de 150 millions de francs-or, en la menaçant d’une invasion militaire et d’une restauration de l’esclavage. Le poids de cette dette pèse toujours sur Haïti et sa population. La France voulait des compensations financières pour le manque à gagner résultant de l’abolition de l’esclavage à Haïti. Ce sont donc les anciens esclavagistes qui ont obtenu des « réparations » et non les personnes mises en esclavage.
Le Royaume-Uni n’a pas agi autrement. Après l’abolition de l’esclavage dans les colonies à partir de 1833, quelque 3 000 familles propriétaires d’esclaves ont reçu 20 millions de livres, soit plus de 16 milliards de livres d’aujourd’hui, pour leur perte de « biens », les biens en question étant des esclaves africains. Loin d’appartenir au passé, cet épisode est très actuel puisque le gouvernement britannique a terminé de payer les derniers versements du prêt pour l’abolition de l’esclavage le 15 février 2015, alors même que le premier ministre David Cameron invitait les Jamaïcains, dans un discours devant le Parlement Jamaïcain tenu le 30 septembre 2015, à considérer que l’esclavage appartenait au passé et qu’il était temps de « s’en remettre » [3]. L’Espagne a elle aussi réclamé un dédommagement important au Maroc pour son retrait du territoire de Tétouan en 1860, sous occupation espagnole depuis des années...
Par ReCommons Europe (publié le 09/07/2020)
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