Manuel de résistance au climatoscepticisme
«Et si on parlait sérieusement de la cause anthropique du changement climatique?» La question était posée par Suzette Sandoz il y a quelques semaines sur son blog (hébergé par Le Temps). Dans son billet, l’ancienne conseillère nationale estimait que «les avis scientifiques divergent indiscutablement sur la cause du réchauffement climatique». Ce qui est faux, puisque le rôle des activités humaines est désormais avéré. Applaudissements des uns, cris d’orfraies des autres, le «grain de sable» (du nom du blog de Mme Sandoz) a fait grincer les rouages. Et a montré qu’en 2020, même si la problématique climatique mobilise plus largement que jamais, quelques vérités restent bonnes à répéter. Passage en revue des principaux arguments des climatosceptiques.

1. «Le climat a toujours changé, ce n’est pas nouveau»

– C’est vrai, le climat est un système dynamique. Mais les changements actuels sont différents

Plusieurs facteurs naturels influencent le climat terrestre. Sur de très grandes échelles de temps (tous les 100 000 ans environ), notre planète alterne entre des périodes glaciaires et interglaciaires, en raison de la variation de son orbite par rapport au soleil. Selon ce cycle, la Terre devrait d’ailleurs se trouver dans une phase de lent refroidissement, ce qui rend les changements actuels d’autant plus spectaculaires. D’autres facteurs naturels affectent les températures à plus court terme. C’est le cas des éruptions volcaniques, qui ont tendance à refroidir la planète, car elles émettent dans l’atmosphère des particules qui renvoient la lumière du soleil. Les variations de l’activité solaire jouent également un rôle.

Donc oui, les températures terrestres ont déjà bien connu des hauts et des bas par le passé et il est normal qu’elles fluctuent. «Cependant, la contribution au réchauffement des facteurs naturels peut être bien quantifiée durant ce siècle; elle est négligeable par rapport à celle des émissions humaines de gaz à effet de serre, qui peuvent expliquer 100% du réchauffement observé depuis 1950», indique Sonia Seneviratne, climatologue à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich.

Les changements observés actuellement se distinguent par leur rapidité. Température en hausse, fonte des glaciers, élévation du niveau marin… de nombreux indicateurs le montrent, nous vivons une période de transformation sans précédent. «Le réchauffement est plus rapide qu’il ne l’a été au cours des deux mille dernières années. Il est aussi cohérent d’un point de vue spatial, c’est-à-dire qu’il se retrouve presque partout sur la planète», relève Raphael Neukom, climatologue à l’Université de Berne.

2. «Mais il faisait plus chaud qu’aujourd’hui au Moyen Age!»

– Oui, il faisait doux à l’époque, mais c’était un phénomène local

Aux alentours de l’an 1000, le continent européen a fait l’expérience de températures clémentes. Cet épisode de relative douceur moyenâgeuse, baptisé «anomalie climatique médiévale», est souvent mis en avant par les climatosceptiques pour relativiser les changements actuels. Pourtant, on sait aujourd’hui que ce réchauffement était localisé, c’est-à-dire qu’il ne se retrouvait pas dans toutes les régions du monde, comme c’est le cas dans la situation actuelle.

Par ailleurs, les scientifiques pensent avoir trouvé la cause de cet épisode: «Avant et après la période médiévale, de nombreuses et fortes éruptions volcaniques ont refroidi la planète. Cette époque ne se caractérise pas par un réchauffement, mais plutôt par une absence de refroidissement», souligne Raphael Neukom. De manière générale, les chercheurs sont de nos jours capables d’expliquer les variations climatiques survenues dans le passé en fonction des différents facteurs de variabilité naturelle déjà évoqués.

3. «J’ai entendu dire que c’était à cause du Soleil»

– Les variations de l’activité du soleil n’expliquent pas le réchauffement actuel

Et oui: le Soleil, lui aussi, a des hauts et des bas. Schématiquement, tous les onze ans, il entre dans une phase de plus ou moins forte activité, repérable par l’apparition ou la disparition de taches solaires à sa surface. C’est d’ailleurs un astronome suisse, Johann Rudolf Wolf, qui a établi une méthode de calcul de l’activité solaire fondée sur le nombre de taches, en 1849. Ces oscillations modifient l’intensité du rayonnement solaire qui parvient sur Terre et influencent donc le climat terrestre.

Par le passé, les changements dans l’activité solaire ont souvent été liés à des modifications de températures sur Terre. Mais depuis la moitié du XXe siècle environ, cette tendance ne se retrouve plus. Le Soleil est actuellement dans une phase de faible activité alors que le mercure ne cesse de grimper. Cela ne signifie pas que l’activité solaire ne joue plus aucun rôle, mais il est négligeable par rapport à celui des émissions de gaz à effet de serre. «Par ailleurs, si le réchauffement était causé par une variation dans l’activité solaire, alors la partie supérieure de l’atmosphère devrait se réchauffer plus vite que la partie inférieure. C’est justement l’inverse qui est observé», souligne Reto Knutti, climatologue à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich.

4. «Bon d’accord, le climat change, mais qu’est-ce qui me prouve que c’est à cause du CO2?»

– Toute une série d’arguments, en fait

Tout d’abord, il y a la physique de l’effet de serre, dont les mécanismes sont connus depuis le XIXe siècle. La chaleur émise par la surface terrestre sous forme de rayonnement infrarouge est piégée par certains gaz présents dans l’atmosphère, tels que le CO2. L’atmosphère agit alors comme une couverture qui empêche la chaleur de s’échapper.

Ces notions de physique sont confirmées par les observations. Si on retrace l’évolution des températures du passé, par exemple en étudiant les cernes de croissance des arbres (plus les conditions sont douces, plus l’arbre grossit et inversement), on se rend compte qu’elles suivent fidèlement la concentration en CO2 de l’atmosphère. Cette dernière peut elle-même être reconstituée dans le passé en analysant des bulles d’air emprisonnées dans les calottes glaciaires. De tout temps, plus il y avait de CO2 dans l’atmosphère, plus il faisait chaud. Quand la concentration en CO2 baissait, la température faisait de même.

Or les mesures montrent que la concentration de CO2 dans l’atmosphère ne cesse d’augmenter. L’observatoire de référence de Mauna Loa, situé à Hawaï, indique qu’il y a actuellement 413, 40 parties par million (ppm) de CO2 dans l’atmosphère, un niveau inégalé depuis des millions d’années. On estime qu’au moment de la Révolution industrielle, ce niveau était de 280 ppm.

Le carbone issu de la combustion de ressources fossiles se présente par ailleurs sous une forme particulière, qui permet de le différencier de celui qui provient de sources naturelles. Les êtres humains émettent aujourd’hui environ 37 gigatonnes de CO2 par année, dont la moitié environ se retrouve dans l’atmosphère. Le reste est absorbé dans les océans, ce qui limite l’amplitude du réchauffement, mais entraîne une dangereuse acidification des eaux.

D’autres éléments encore viennent confirmer le rôle de nos émissions dans l’accroissement de l’effet de serre. Les observations satellitaires montrent qu’il y a de moins en moins de chaleur qui s’échappe de la Terre en direction de l’espace, tandis que les mesures au sol confirment que davantage de chaleur y est renvoyée par l’atmosphère. C’est l’ensemble de tous ces éléments qui permet aujourd’hui de considérer le rôle de l’être humain dans les changements du climat comme un fait scientifiquement avéré.

5. «Les modèles climatiques sont bidon»

– Ils sont imparfaits. Mais ce sont des outils précieux et indispensables

Une bonne partie de la recherche en climatologie repose sur des modélisations numériques qui intègrent les paramètres physiques et biologiques du climat pour en étudier le fonctionnement et tenter d’en prédire l’évolution. «Cette tâche est très complexe et les systèmes actuels ne sont pas parfaits, reconnaît Maura Brunetti, spécialiste de l’étude statistique des systèmes complexes à l’Université de Genève. Mais les ordinateurs sont indispensables pour pouvoir faire des calculs qui prennent en compte toutes les variables climatiques et ainsi tester des hypothèses. Et puis, on peut s’assurer qu’ils fonctionnent globalement bien, en testant leurs prédictions par rapport au passé.»

Les différents modèles utilisés par les chercheurs sont ainsi capables de reproduire dans les grandes lignes les variations antérieures du climat. Ils se rejoignent aussi sur un autre point: ils ne parviennent à simuler le réchauffement actuel que s’ils prennent en compte les émissions anthropiques de CO2. En se basant uniquement sur les variables naturelles, impossible de modéliser les transformations que notre Terre connaît aujourd’hui. «Même des modèles simplifiés du bilan énergétique représentant l’effet de l’augmentation du CO2 sur le climat donnent les mêmes résultats à l’échelle globale. Les modèles climatiques complexes sont plutôt utilisés pour les estimations régionales», souligne Sonia Seneviratne.

Aucun de ces modèles ne peut prédire avec exactitude l’avenir, mais ils indiquent une tendance claire: si les émissions de CO2 se poursuivent, les températures vont encore grimper et le système climatique dans son ensemble sera bouleversé.

Quel climatosceptique êtes-vous?

Au Temps, nous utilisons le terme de «climatosceptique» pour décrire de manière générale toutes les personnes qui remettent en cause les changements climatiques. C’est en effet le mot le plus couramment employé en français et donc supposément le mieux compris. Pourtant, à y regarder de près, ce n’est pas le plus approprié. Car la plupart des personnes qui s’affichent comme climatosceptiques ne se contentent pas de questionner les sciences du climat, elles sélectionnent systématiquement les données allant dans leur sens, même si ce ne sont pas celles qui sont le mieux étayées par la recherche. C’est pourquoi le quotidien britannique The Guardian préfère parler de «négateur des changements climatiques» («climate denier» en anglais). Quel que soit le terme retenu, il est bon de se familiariser avec les divers profils qui composent cette famille, car leurs motivations et leur potentiel de nuisance sont variés.

Les indifférents

«Les changements climatiques? Oui, j’en ai entendu parler…» Une fraction de la population ne se préoccupe tout simplement pas du réchauffement. Le sujet est jugé trop technique, autres difficultés concrètes à gérer en priorité… plusieurs raisons peuvent l’expliquer. Dans cette famille, probablement la plus nombreuse, on ne nie pas activement le problème, mais on le connaît très mal, ce qui peut amener à s’en défier ou à sous-estimer les enjeux.

Les vieux professeurs

A chaque fois que nous faisons paraître un article sur le climat, ils nous écrivent pour nous dire que nous avons tout faux. Ces personnes ont souvent un bagage scientifique, sans pour autant être des spécialistes du climat. Ils pensent que la communauté des climatologues dans son ensemble est incompétente et qu’eux-mêmes détiennent une information clé. Dans cette famille, parfois virulente, on a du temps libre et une vision naïve de ses propres capacités.

Les conspirationnistes

L’ONU/l’Etat profond/les vendeurs de panneaux solaires/les marxistes veulent organiser une dictature mondiale au profit des pays pauvres et brandissent l’argument du réchauffement pour arriver à leurs fins. On pourrait écrire des pages sur l’attrait psychologique des théories du complot. On s’en tiendra ici à cette description par l’absurde.

Les lobbyistes

La lutte contre les changements climatiques implique de renoncer rapidement aux énergies fossiles. Si vous êtes lié à ce secteur d’activité, il y a donc de fortes chances pour que vous ne voyiez pas d’un bon œil l’action climatique. De là à nier le problème, il n’y a qu’un pas! Des recherches ont prouvé que certains groupes d’intérêt ont mené une campagne intentionnelle de désinformation sur le réchauffement climatique. Et ce n’est pas fini: les géants pétroliers ont dépensé un milliard de dollars en lobbying et relations publiques «contraires» aux conclusions de l’Accord de Paris sur le climat depuis sa signature fin 2015, comme l’a montré récemment un rapport de l’ONG britannique InfluenceMap.

Les réalistes

Ne vous y faites pas prendre, par exemple au détour d’une visite sur le site français climato-realistes.fr. Celui qui se dit «climatoréaliste» ou «climatocritique» ou autre terme ambigu du même acabit, est en fait un vieux professeur et/ou un intéressé et/ou un conspirationniste qui a mis une fausse moustache pour se donner un air de respectabilité.
«Nous n’avons pas envie de croire au réchauffement et à ses effets car le constat est trop effrayant»

Professeur à l’Université libre de Bruxelles, Edwin Zaccaï y dirige le Centre d’études du développement durable. Il a codirigé l’ouvrage Controverses climatiques, sciences et politique, paru en 2012 aux Presses de Sciences Po et plus récemment Deux degrés, les sociétés face au changement climatique, chez le même éditeur.

Le Temps: Comment expliquer que de nombreuses personnes doutent encore de l’existence des changements climatiques ou de ses causes, malgré les preuves scientifiques?
Edwin Zaccaï, docteur en sciences de l'environnement, professeur à l’Université libre de Bruxelles et directeur du Centre d’études du développement durable. DR

Edwin Zaccaï: D’abord, même si cela fait des décennies que les chercheurs amassent des données, l’étude des changements climatiques demeure un domaine relativement nouveau, qui n’a pas été enseigné à l’école. De nombreuses personnes, en particulier parmi les plus âgées, ont donc découvert la problématique par le biais des médias. Or, lorsqu’on tente de se faire une opinion sur ce sujet en consultant des sites internet, il y a une forte probabilité de tomber sur des données manipulées. Un rapport récent [de l’ONG Avaaz, ndlr] a montré que, en faisant des recherches sur YouTube, les internautes sont fréquemment confrontés à des vidéos climatosceptiques, à travers les algorithmes de mise en relation avec le sujet du climat. Or ces vidéos, mais aussi certains sites internet climatosceptiques, sont en apparence crédibles.

D’où vient le pouvoir d’attraction des contenus qui remettent en cause les changements climatiques?

Nous n’avons pas envie de croire au réchauffement et à ses effets car le constat est trop effrayant. C’est pourquoi nous avons tendance à privilégier les arguments qui nient le problème et flattent ainsi notre aversion au risque. Al Gore avait bien identifié cette difficulté, c’est pourquoi il a intitulé son célèbre documentaire Une vérité qui dérange% sorti en 2006, il explique les causes du réchauffement, ndlr]. Beaucoup de chercheurs – et j’en fais partie – ont cru qu’il serait suffisant de présenter leurs connaissances pour convaincre le public, alors que d’autres éléments non rationnels jouent un rôle dans la formation des opinions. Nous avons péché par naïveté.

Comment mieux faire passer le message?

Je pense qu’il est stérile d’opposer deux camps, les climatosceptiques contre les autres. D’abord, parce que cela fige les opinions, ensuite parce que cela ne correspond pas à la réalité. Parmi les climatosceptiques, une minorité seulement adopte ces vues pour des raisons politiques ou pour défendre des intérêts économiques, et ne changera donc pas d’avis. Les autres doutent de bonne foi. A ceux-là, il est toujours utile de rappeler les données scientifiques, mais aussi de les questionner par rapport à la fabrication de ces connaissances. Pourquoi des milliers de scientifiques auraient-ils bâti ensemble un mensonge de cette taille? Cela ne tient pas debout!

En chiffres

88% des Suisses estiment que le réchauffement est «plutôt dangereux» ou «très dangereux» pour l’être humain et l’environnement, d’après la troisième édition de l’enquête sur l’environnement réalisée par l’Office fédéral de la statistique, publiée fin janvier. Seule une minorité, 12% de personnes, considère qu’il n’est «plutôt pas» ou «pas du tout» dangereux.

Agenda

Invitée à ouvrir le semestre de printemps 2020 de l’Université de Genève, la paléoclimatologue française Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), donnera une conférence intitulée «Changement climatique: à quoi doit-on s’attendre?» mardi 25 février à 18h30 à Uni Dufour. L’entrée est libre.

Par Pascaline Minet (publié le 23/02/2020)
A lire sur le site Le Temps