Les hêtres de la forêt de Soignes exploités en Chine: une coopérative veut changer la donne
En ce moment, l’activité forestière de la Forêt de Soignes est en sourdine. Le sol est trop humide et les températures douces. Vous ne croiserez donc pas dans les allées de la Forêt les exploitants forestiers qui ont acheté du bois sonnien il y a quelques semaines. Ce que l’on voit par contre, au détour de certains carrefours en Forêt de Soignes, ce sont des grumes – des troncs – de bois qui attendent leur départ pour un long voyage, en camion puis en bateau.

Puisque la plupart des hêtres abattus en Forêt de Soignes sont exportés vers la Chine, " la partie la plus noble, c’est-à-dire la grume, le tronc, est achetée par des exploitants forestiers qui vont les exporter vers la Chine qui est devenue le principal transformateur de ce matériau, de cette ressource matérielle locale", explique Stéphane Vanwijnsberghe, directeur du service forestier de la région bruxelloise. La Forêt de Soignes produit autour de 20.000 m³ de bois chaque année. Et le bois exporté vers l’Asie représente plus de 75% de la totalité. Souvent, une partie de ce bois reviendra transformé en mobilier, ici, dans nos maisons, nos bureaux.
Garder la valeur ajoutée ici

Mais une coopérative, la Sonian Wood Coop, veut changer la donne et éviter cet aller et retour de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres. Elle veut exploiter le bois de la Forêt de Soignes ici. Le projet est en fait une recherche-action menée entre autres par un chercheur en économie circulaire de l’ULB. Pour Stephan Kampelmann, "au lieu de laisser partir la valeur ajoutée en revendant la matière première à des acheteurs internationaux, il faut garder cette matière ici et créer une économie circulaire, locale".

La coopérative a donc lancé un crowdfunding pour acheter un lot de bois de la Forêt de Soignes, le convertir et lancer l’affaire (15.000 euros). Pour ce faire, la coopérative entend stimuler la demande locale : " Le bois de hêtre se prête à des choses qui sont demandées par la ville. On pourrait imaginer que des écoles bruxelloises se fournissent en parquet, en cage d’escalier, en rangement, en meuble, réalisés à partir du bois de la Forêt de Soignes. On rêve vraiment de créer du mobilier d’école".

Filière locale à retricoter

Reste qu’il faut trouver des personnes pour transformer ce bois de gros gabarit. Et c’est là que le bât blesse. La filière de transformation du hêtre en Belgique a subi de plein fouet la concurrence avec l’Asie. Les coûts de transformation du bois sont beaucoup plus élevés ici que là-bas (les charges salariales, les coûts de l’énergie, les taxes, etc.).

Ce qui donne ce calcul étonnant : "l’achat du bois, le transport vers la Chine pour la transformation de ces arbres, la transformation locale et la réexportation vers la Belgique amène à avoir des produits qui sont plus concurrentiels que ceux que l’on peut faire ici dans le pays", détaille Stéphane Vanwijnsberghe. Résultat : il reste très peu de scieries belges qui transforment encore du hêtre.

La coopérative mise sur une scierie mobile pour découper le bois acheté, puis elle démarche les menuisiers, architectes et designers qui seraient intéressés par l’achat de bois local. "On a déjà plusieurs architectes, plusieurs menuisiers qui ont exprimé leur intérêt de se fournir en bois local", explique Stephan Kampelmann. "On travaille avec eux pour créer une sorte de carnet de commandes avant de scier le bois. On est assez satisfait de la réaction des différents secteurs parce que la Forêt de Soignes a un cachet, une provenance très intéressante pour des projets en architecture et en design".

Un bois qui n’a pas fait le tour du monde

Et c’est vrai qu’ici, à la Micro Factory, un atelier partagé situé le long du canal, l’idée fait mouche. Benjamin Moncarey, qui porte lui aussi ce projet de coopérative, rencontre les menuisiers bruxellois : "C’est une réflexion que certains ont déjà. Savoir d’où vient le bois qu’ils utilisent. Parfois, ce n’est pas sourcé, localisé, alors on a envie de leur apporter une solution".

Travailler le bois sonnien, cela pourrait intéresser Anthony Van der Haeghen qui veille déjà à utiliser du bois local : " Généralement, le hêtre que j’utilise vient d’Europe. Mais dernièrement j’ai fait un chantier avec un producteur de bois qui va chercher ses bois en Belgique". Sylvain Reymond abonde dans son sens : "Plus c’est proche, plus il y a une conscience satisfaite de travailler avec du bois d’ici, un bois qui n’a pas fait le tour de la planète avant d’arriver dans l’atelier". Il existe d’ailleurs un label bois local utilisé par une quarantaine d’entreprises.

Rentable et réaliste ?

Et quand bien même il y aura une demande, des personnes prêtes à transformer ce bois, est-ce que cela sera rentable ? Est-ce que c’est réaliste ? Stephan Kampelmann en est convaincu : " Cela existe à Amsterdam ou encore à Montréal. Et à Bruxelles, on a une position de départ assez confortable car on a un bois assez homogène, des quantités industrielles que l’on peut tout de suite valoriser. Alors que dans d’autres villes, on se débrouille avec les arbres d’alignement, les arbres dans les parcs, donc je suis assez confiant. A Bruxelles, c’est économiquement très réaliste de mettre en place cette filière".

Du côté du secteur, on est plus circonspect. " Je ne dis pas que c’est impossible ", déclare Frédéric Petit, président de la fédération belge des exploitants forestiers, "mais ce sera difficile de contrer ce marché-là, parce qu’il est très bien organisé, très performant au niveau de ces coûts de transformation. Ce sera peut-être possible à une petite échelle, cela restera marginal par rapport à l’ensemble du marché. C’est une bonne idée, mais elle risque d’être difficile à mettre en œuvre à large échelle et à l’échelle de tout ce que la Forêt de Soignes produit comme bois annuellement".

Le pari de la Sonian Wood Coop est lancé. A voir si elle parvient à lever les fonds nécessaires. Si elle parvient à convaincre les Bruxellois de la plus-value du bois de la Forêt de Soignes. A voir aussi à quelle échelle le projet de la Sonian Wood Coop sera soutenable.

Par Aline Wavreille (publié le 12/01/2020)
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