L'avenir de l'agriculture wallonne est sans pesticide
D’après une étude de l’UCLouvain, la montée en puissance du bio  dans l’agriculture wallonne permettrait de sauver le secteur et de  limiter le coût des dégâts environnementaux à 672 millions contre 1,4  milliard aujourd’hui.

Quel visage aura l’agriculture wallonne en 2050? Alors que la  foire de Libramont bat son plein depuis ce vendredi, le secteur agricole  est en pleine mutation. Pour faire court, et comme le souligne une  récente étude réalisée par l’UCLouvain, le secteur doit concilier les  objectifs de production de l’agriculture, la diminution de l’impact  environnemental de ses activités (comme la réduction de pesticides) et  le maintien de l’emploi dans les filières.

Inconciliable? C’est ce qu’a cherché à savoir le professeur  Philippe Baret, doyen de la faculté des bioingénieurs de l’UCLouvain, à  travers une étude prospective commandée par le ministre sortant en  charge de l’Environnement en Wallonie, le cdH Carlo Di Antonio.

La  situation actuelle n’est pas tenable dans la durée, les agriculteurs  sont en difficulté malgré l’important soutien wallon et les actions des  gouvernements successifs, martèle le ministre. Croire que l’on va  pouvoir maintenir le cap et apporter des soutiens complémentaires n’est  pas réaliste. Avec un budget de la PAC à nouveau annoncé en diminution,  il faut se donner des perspectives d’avenir. Dès qu’on émet des  propositions remettant en question le modèle actuel, le mot agribashing  est la première réponse des réfractaires aux évolutions.

Érosion des terres agricoles

Avant de se plonger dans les résultats de l’étude, il semble  intéressant de planter le décor avec cette question: que représente  l’agriculture en Wallonie aujourd’hui? En termes de superficie, c’est  40% de la Région wallonne, soit 717.527 hectares. Mais c’est aussi 5% de  moins qu’en 2005.

A priori, avec 91% de ce territoire agricole dédié à  l’alimentation humaine, la Wallonie produit plus qu’elle ne consomme  dans la majorité des catégories. Le seul bémol se situe du côté des  céréales où la Wallonie importe 67% de ses besoins.

La part de l’agriculture biologique reste, elle, marginale avec 9% des surfaces cultivées de la Région en 2015 et 11% l’année dernière.

Vers où voulons-nous aller?

Tout l’intérêt de l’étude est de se projeter dans l’avenir de  l’agriculture à travers deux directions. Le premier scénario, appelé  "tendanciel" car il prolonge les tendances des dix dernières années,  part du principe que l’on continue comme aujourd’hui avec une surface  agricole qui s’érode, provoquée par la baisse des cheptels bovins et le  recul de 31% des prairies fourragères. Les projections estiment que  d’ici 2050, la surface agricole diminuera de 16%, soit 172.206 hectares  en moins. La part du bio devrait, elle, tourner autour des 15% et  permettra de diminuer de 19% l’usage des pesticides.

Les projections estiment que d’ici 2050, la surface agricole diminuera de 16%, soit 172.206 hectares en moins.

À côté, le scénario de transition fait le pari du bio. Il vise un  maintien de la surface agricole et une forte réduction des intrants. L’agriculture biologique passerait à 40% d’ici 2050, ce qui permettra d’"atteindre une réduction de 44% de l’usage des pesticides".

Selon Philippe Baret, le passage vers le bio ne mettrait pas à  mal le secteur et la sécurité alimentaire de la Wallonie. C’est même  tout le contraire. Il se base notamment sur le premier volet de son  enquête réalisé en 2017. Les conclusions indiquent ainsi que "la  pratique de l’agriculture à faibles intrants en Wallonie ne pourrait en  aucune manière compromettre la sécurité alimentaire wallonne en termes  de calories disponibles. Ce scénario permet non seulement de nourrir la  population wallonne, mais également la population bruxelloise."

Au niveau de l’emploi, "une transition vers l’agriculture à  faibles intrants créerait environ 8% d’emplois en plus par rapport au  scénario baseline (où on ne change rien, NDLR)." La baisse du rendement des terres serait, elle, compensée par un prix de vente plus élevé pour les produits bio

-643 millions vs + 148 millions

Enfin, le scénario à faibles intrants réduit les dommages environnementaux et les coûts sociétaux. "Aujourd’hui, le coût environnemental de l’agriculture dépasse la valeur ajoutée du secteur agricole", estime Philippe Baret. D’après ses calculs, la valeur ajoutée brute du secteur représente 807 millions d’euros.  Les dommages à l’environnement sont par contre estimés à 1,449 milliard  d’euros. Ils comprennent les dommages à l’air, au climat, à l’eau et  les dégâts sur les sols, et intègrent des coûts au-delà des frontières  wallonnes. Bref, après le décompte des coûts environnementaux, la valeur  ajoutée (nette) plonge dans le rouge à moins 643 millions.

"Pour diminuer de moitié les pesticides en 2050, les deux tiers de l’effort doivent être faits avant 2030."

À l’inverse, la montée en puissance du bio change la donne avec une valeur ajoutée à 818 millions d’euros.  Mais surtout, la baisse de l’usage des produits chimiques diminue de  plus de la moitié les coûts environnementaux, à 672 millions d’euros. Ce  changement de modèle pousserait ainsi la valeur ajoutée nette à 148 millions d’euros.

Il ne faut évidemment pas être naïf. La mise en place d’une  agriculture bio nécessitera un large soutien public pendant la période  de transition. "Pour diminuer de moitié les pesticides en 2050, les deux tiers de l’effort doivent être faits avant 2030."

Par François-Xavier Lefèvre (publié le 26/07/2019)
A lire sur le site L'Echo