A Saint-Etienne, une nouvelle forme de pédagogie sociale émancipe les femmes et les enfants d’un quartier pauvre
Dans un quartier populaire de Saint-Etienne, des « ateliers de rue » sont proposés régulièrement aux enfants. Leur principe : un accueil libre, inconditionnel et gratuit. Sur cet espace en milieu ouvert, les enfants, parfois accompagnés par leurs parents, sont invités à prendre des initiatives et à coopérer. Ces ateliers s’inspirent d’une pédagogie sociale visant à expérimenter de nouvelles façons de vivre et d’éduquer collectivement, avec tous les âges et à partir de toutes les cultures. Cinq ans après leur mise en place, ces pratiques d’émancipation, qui recréent aussi du lien entre adultes, gagnent du terrain, mais sont peu soutenues par les politiques. Un « café des femmes » a également ouvert. Reportage.

Difficile de trouver l’espace de jeux du quartier de Tarentaize, bordé par un boulevard urbain d’un côté, abrité par une grande médiathèque de l’autre. A mesure que l’on s’approche, les cris des gamins disputant une partie de foot recouvrent le bruit des voitures ralliant Saint-Étienne. Aux abords du terrain, des enfants affluent pour aider à déplier les tapis de jeux fournis par l’association Terrain d’entente. Des sourires gagnent les visages à la vue des diabolos, jeux de société, slackline (sortes de cordes pour funambules), instruments de jongle et autres coloriages... Depuis cinq ans, l’association propose des ateliers de rue, les mercredi et samedi après midi, tout au long de l’année. Avec un principe clé : l’accueil est libre, inconditionnel et gratuit.

« Les enfants partent et viennent librement, les différents jeux sont à leur disposition », relate Josiane Reymond, fondatrice de l’association. « C’est parti d’une demande des enfants, qui nous disaient qu’il n’y avait rien pour eux. » Tarentaize, à l’ouest de Saint-Etienne, est considéré comme l’un des quartiers les plus en difficulté de la ville, avec un taux de pauvreté dépassant les 43% [1]. « Beaucoup d’habitants voudraient partir, nous sentons que les enfants souffrent, la vie est dure. Au lieu de regretter que les gens ne se mobilisent plus, nous avons décidé d’aller à leur rencontre. Nous sommes venus avec des tapis et des jeux, au pied des immeubles, en nous demandant : quelle légitimité peut-on avoir en n’étant pas du quartier ? » La réponse, l’association l’a trouvée dans la présence grandissante d’enfants lors de ces ateliers installés dans l’espace public.

Pour les enfants, ces ateliers de rue ne sont pas seulement un moment de jeu, mais aussi un temps pour évoquer leurs préoccupations et leurs envies. « Ils sollicitent notre présence pour certains conflits », observe Josiane. « Nous nous référons aux outils de la pédagogie sociale pour aider les enfants à construire des relations positives, traverser les conflits de façon à ce que chacun trouve sa place au sein du collectif. » Derrière le concept de « pédagogie sociale », on retrouve des figures comme le pédagogue Célestin Freinet [2]. Aller à la rencontre de quartiers délaissés, offrir une présence régulière, favoriser l’émancipation individuelle et collective, c’est l’engagement tenu dans la durée par les pédagogues sociaux. « Nous ne sommes plus dans la distance mais dans la proximité, nous ne sommes plus dans la défiance mais nous construisons au fil du temps des relations de confiance et d’estime réciproques », explique Josiane, qui s’appuie fortement sur les travaux de Laurent Ott, chercheur en travail social.
« Chacun possède un petit bout de l’histoire d’un enfant »

L’association Terrain d’entente propose de partir des idées des enfants, et de compter sur tout le monde pour les réaliser. Ce jour-là, Youssef, un jeune adolescent, reparle de son envie d’organiser une chasse au trésor. Saad, stagiaire chez Terrain d’entente, propose de l’aider avec d’autres enfants. « Des projets deviennent possible avec la participation de tous, notre petite équipe, les enfants, les adultes, souligne Josiane. A force de tâtonnements, on trouve peu à peu la meilleure façon de se retrouver collectivement. Nous organisons des « conseils » avec les enfants, pour discuter de la manière dont les choses se passent. » Un « bâton de parole » y circule entre enfants, seul celui qui tient le bâton est autorisé à parler.

A la différence des centres de loisir, le travail mené par l’association Terrain d’entente se mène dehors, sur l’espace public, sans aucune barrière de protection traçant une frontière entre intérieur et extérieur. « Souvent, quand on ne sait plus quoi faire avec un gamin, on le met dehors, observe Josiane. La sanction, nous la dégainons tous, mais ça ne règle rien : les gamins se sentent exclus, abandonnés. Être dans l’espace public nous rend d’une certaine manière plus intelligent. Nous finissons toujours par trouver une solution. » L’équipe organise au moins deux réunions par semaine pour faire le point. « Chacun possède un petit bout de l’histoire d’un enfant. Nous cherchons ensemble l’attitude la plus adaptée face à des gamins parfois très tendus. »

Par Sophie Chapelle

Lire la suite de l'article sur le site de bastamag.net (02/01/2017)