24 Oct 2016
Les charges retenues contre la multinationale américaine Monsanto sont lourdes et lui valent d’être poursuivie devant un tribunal international qui se réunit à La Haye (Pays-Bas) les samedi 15 et dimanche 16 octobre.
Accusée de « violations des droits humains, crimes contre l’humanité et écocide », l’entreprise se voit notamment reprocher la commercialisation de produits toxiques qui ont causé la mort de milliers de personnes, comme les polychlorobiphényles (PCB), le glyphosate – un herbicide connu sous la marque Roundup – ou encore l’acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique (ou 2,4,5-T), constituant de l’« agent orange », un herbicide pulvérisé par avion au-dessus des forêts par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam.
Suivez le procès sur le compte Twitter de notre envoyé spécial, Rémi Barroux :
La société, née aux Etats-Unis en 1901 – son créateur John F. Queeny l’avait baptisée ainsi en hommage à son épouse Olga Monsanto – se voit aussi traînée sur le banc des accusés pour un modèle d’agriculture industrielle générateur de fortes émissions de gaz à effet de serre, pour la dépendance du monde paysan à ses semences et leurs brevets, pour le « lobbying auprès des agences de réglementation et des autorités gouvernementales »… En bref, pour l’ensemble de son œuvre.
Le procès est symbolique : il est organisé par un réseau associatif et militant, mais ce sont bien cinq juges de renommée internationale qui vont avoir la charge d’évaluer les faits reprochés à Monsanto et de juger des dégâts causés par la multinationale.
La Sénégalaise Dior Fall Sow est consultante pour la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye, et ex-avocate générale du Tribunal pénal international pour le Rwanda. L’Australienne Gwynn MacCarrick a travaillé, elle, auprès du bureau du procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Quant au Mexicain Jorge Abraham Fernandez Souza, il a notamment été rapporteur au tribunal Russell sur la répression en Amérique latine et est conseiller auprès de la commission nationale d’arbitrage entre l’Armée zapatiste de libération nationale et le gouvernement mexicain.
Vingt plaignants venus des Amériques, d’Afrique, d’Asie et d’Europe, leurs avocats et trente témoins et experts des cinq continents complètent le dispositif de ce rendez-vous qui a été annoncé durant la conférence de Paris sur le climat, la COP21, début décembre 2015.
Dans le comité d’organisation de ce Tribunal Monsanto, se retrouvent l’Indienne Vandana Shiva, ardente défenseure des causes environnementales et féministes, l’avocate française Corinne Lepage, Olivier De Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations unies (ONU) sur le droit à l’alimentation, la juriste en droit international Valérie Cabanes ou encore Ronnie Cummins, directeur international de la puissante organisation de consommateurs aux Etats-Unis, l’Organic Consumers Association (OCA).
Ce procès se veut « exemplaire contre les entreprises transnationales et leurs dirigeants qui contribuent au dérèglement du climat et de la biosphère, menaçant la sûreté de la planète », et il dépasse le seul cas de Monsanto.
La multinationale a d’ailleurs sans surprise décliné l’invitation à participer à cette mise au pilori. Pour elle, ce procès est « une parodie » qui « détourne l’attention de discussions essentielles sur les besoins en alimentation et en agriculture du monde entier ». Il n’était donc pas question d’y participer.
Pour Monsanto cette « mascarade » est orchestrée par la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique, « une instance qui chapeaute les organisations d’agriculture bio et leurs associés (…) et bien d’autres qui s’opposent fondamentalement à l’agriculture moderne ».
De leur côté, les organisateurs du Tribunal Monsanto font valoir que l’ensemble de l’initiative représente un coût total d’environ 500 000 euros, financés par une levée de fond sur Internet et, pour moitié, par des sociétés comme Biocoop, des fondations comme celles de Léa Nature, Lehmann Natur (enseigne bio allemande) ou encore l’organisation OCA.
Faire évoluer le cadre du droit international
Mais le rendez-vous de La Haye ne se résume pas à une confrontation, médiatisée, entre des organisations écologiques et une multinationale spécialisée dans les biotechnologies agricoles, dont le jugement ne sera pas communiqué avant décembre.
Outre la condamnation d’un système agro-industriel, l’enjeu est de faire évoluer le cadre du droit international, en y intégrant le crime d’écocide, c’est-à-dire toute attaque contre l’environnement, destruction ou altération durable des écosystèmes dont dépendent les populations.
En organisant le procès Monsanto, ainsi que l’Assemblée des peuples qui se tiendra en parallèle – six cents personnes se sont inscrites pour ces deux événements –, à quelques centaines de mètres du siège de la Cour pénale internationale (CPI), le message est clair.
« Il faut amender le statut de Rome [celui de la CPI] pour y intégrer le crime d’écocide, aux côtés de ceux de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité », professe ainsi Valérie Cabanes. Et de rappeler qu’il a fallu plus d’une cinquantaine d’années – après le tribunal de Nuremberg, en 1945 – pour qu’une institution juridique internationale vouée à juger les crimes internationaux les plus graves, la CPI, ne voie le jour en juillet 1998.
Le débat avance : le 15 septembre, la CPI a annoncé qu’elle allait se pencher sur les crimes contre l’environnement (destruction environnementale, exploitation illégale des ressources naturelles et dépossessions foncières illicites).
Pour les plaignants et les organisateurs de ce tribunal, l’enjeu est, au-delà du cas Monsanto, de faire en sorte que les dirigeants d’entreprises et les responsables politiques puissent être jugés et condamnés pour des destructions de terres, des pollutions d’océan ou encore de sources d’eau potable.
Par Rémi Barroux
A lire sur lemonde.fr (14/10/2016)
Accusée de « violations des droits humains, crimes contre l’humanité et écocide », l’entreprise se voit notamment reprocher la commercialisation de produits toxiques qui ont causé la mort de milliers de personnes, comme les polychlorobiphényles (PCB), le glyphosate – un herbicide connu sous la marque Roundup – ou encore l’acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique (ou 2,4,5-T), constituant de l’« agent orange », un herbicide pulvérisé par avion au-dessus des forêts par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam.
Suivez le procès sur le compte Twitter de notre envoyé spécial, Rémi Barroux :
La société, née aux Etats-Unis en 1901 – son créateur John F. Queeny l’avait baptisée ainsi en hommage à son épouse Olga Monsanto – se voit aussi traînée sur le banc des accusés pour un modèle d’agriculture industrielle générateur de fortes émissions de gaz à effet de serre, pour la dépendance du monde paysan à ses semences et leurs brevets, pour le « lobbying auprès des agences de réglementation et des autorités gouvernementales »… En bref, pour l’ensemble de son œuvre.
Le procès est symbolique : il est organisé par un réseau associatif et militant, mais ce sont bien cinq juges de renommée internationale qui vont avoir la charge d’évaluer les faits reprochés à Monsanto et de juger des dégâts causés par la multinationale.
La Sénégalaise Dior Fall Sow est consultante pour la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye, et ex-avocate générale du Tribunal pénal international pour le Rwanda. L’Australienne Gwynn MacCarrick a travaillé, elle, auprès du bureau du procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Quant au Mexicain Jorge Abraham Fernandez Souza, il a notamment été rapporteur au tribunal Russell sur la répression en Amérique latine et est conseiller auprès de la commission nationale d’arbitrage entre l’Armée zapatiste de libération nationale et le gouvernement mexicain.
Vingt plaignants venus des Amériques, d’Afrique, d’Asie et d’Europe, leurs avocats et trente témoins et experts des cinq continents complètent le dispositif de ce rendez-vous qui a été annoncé durant la conférence de Paris sur le climat, la COP21, début décembre 2015.
Dans le comité d’organisation de ce Tribunal Monsanto, se retrouvent l’Indienne Vandana Shiva, ardente défenseure des causes environnementales et féministes, l’avocate française Corinne Lepage, Olivier De Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations unies (ONU) sur le droit à l’alimentation, la juriste en droit international Valérie Cabanes ou encore Ronnie Cummins, directeur international de la puissante organisation de consommateurs aux Etats-Unis, l’Organic Consumers Association (OCA).
Ce procès se veut « exemplaire contre les entreprises transnationales et leurs dirigeants qui contribuent au dérèglement du climat et de la biosphère, menaçant la sûreté de la planète », et il dépasse le seul cas de Monsanto.
La multinationale a d’ailleurs sans surprise décliné l’invitation à participer à cette mise au pilori. Pour elle, ce procès est « une parodie » qui « détourne l’attention de discussions essentielles sur les besoins en alimentation et en agriculture du monde entier ». Il n’était donc pas question d’y participer.
Pour Monsanto cette « mascarade » est orchestrée par la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique, « une instance qui chapeaute les organisations d’agriculture bio et leurs associés (…) et bien d’autres qui s’opposent fondamentalement à l’agriculture moderne ».
De leur côté, les organisateurs du Tribunal Monsanto font valoir que l’ensemble de l’initiative représente un coût total d’environ 500 000 euros, financés par une levée de fond sur Internet et, pour moitié, par des sociétés comme Biocoop, des fondations comme celles de Léa Nature, Lehmann Natur (enseigne bio allemande) ou encore l’organisation OCA.
Faire évoluer le cadre du droit international
Mais le rendez-vous de La Haye ne se résume pas à une confrontation, médiatisée, entre des organisations écologiques et une multinationale spécialisée dans les biotechnologies agricoles, dont le jugement ne sera pas communiqué avant décembre.
Outre la condamnation d’un système agro-industriel, l’enjeu est de faire évoluer le cadre du droit international, en y intégrant le crime d’écocide, c’est-à-dire toute attaque contre l’environnement, destruction ou altération durable des écosystèmes dont dépendent les populations.
En organisant le procès Monsanto, ainsi que l’Assemblée des peuples qui se tiendra en parallèle – six cents personnes se sont inscrites pour ces deux événements –, à quelques centaines de mètres du siège de la Cour pénale internationale (CPI), le message est clair.
« Il faut amender le statut de Rome [celui de la CPI] pour y intégrer le crime d’écocide, aux côtés de ceux de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité », professe ainsi Valérie Cabanes. Et de rappeler qu’il a fallu plus d’une cinquantaine d’années – après le tribunal de Nuremberg, en 1945 – pour qu’une institution juridique internationale vouée à juger les crimes internationaux les plus graves, la CPI, ne voie le jour en juillet 1998.
Le débat avance : le 15 septembre, la CPI a annoncé qu’elle allait se pencher sur les crimes contre l’environnement (destruction environnementale, exploitation illégale des ressources naturelles et dépossessions foncières illicites).
Pour les plaignants et les organisateurs de ce tribunal, l’enjeu est, au-delà du cas Monsanto, de faire en sorte que les dirigeants d’entreprises et les responsables politiques puissent être jugés et condamnés pour des destructions de terres, des pollutions d’océan ou encore de sources d’eau potable.
Par Rémi Barroux
A lire sur lemonde.fr (14/10/2016)