Ni protectionnisme, ni néolibéralisme mais une « relocalisation ouverte », base d’une nouvelle internationale
Revenir au protectionnisme ? Tenter d’encadrer les marchés ? Lutter contre le chômage en favorisant la croissance à tout prix ? La gauche semble en panne de projet économique et social cohérent, émancipateur, et écologiquement soutenable. Face à cette absence d’imaginaire, le thème de la relocalisation de l’économie commence à séduire. Mais une relocalisation ouverte et altruiste, à l’opposé de l’anxiogène et dangereux repli sur soi, et en capacité de « retrouver de justes équilibres entre l’efficacité, la puissance et le bien-être, l’autonomie et la convivialité ». Voici une tribune pour lancer le débat.

A chaque crise, le protectionnisme renaît de ses cendres, tel un sauveur. Bien avant, dans le dernier quart du XIXème siècle, les Etats-Nations s’en étaient déjà servi pour se protéger. Ils ne tardèrent pas à s’affronter ... sur le terrain militaire.

Aujourd’hui, nos sociétés traversent une période de doutes et de peurs, et surtout de perte de repères et de sens. Les choses s’accélèrent. Nous faisons face à l’effondrement de notre modèle civilisationnel construit autour du toujours plus. La mégamachine économique s’emballe, avec elle la crise écologique, les inégalités, les souffrances, les violences... Cette société du spectacle et de la communication ne nous laisse plus le temps de comprendre et dialoguer afin d’apporter des solutions politiques cohérentes et efficaces face aux enjeux de ce début de XXIème siècles. On nous dit que la « politique ne peut pas tout ». On a perdu prise sur nos institutions devenues des outils hétéronomes au service d’une oligarchie financière toujours plus forte.
« Tout le monde subit les désastres sociaux et écologiques de ce système »

C’est ainsi que ces dernières années, nous assistons au retour de discours souverainistes et nationalistes, aussi bien à droite qu’à gauche. Comme si le repli sur l’Etat-Nation, voire la région, permettrait de résoudre ces défis d’ordre sociétal, politique et géopolitique. Un mot passe partout émerge, là aussi à droite comme à gauche, le protectionnisme.

A travers ce texte, nous souhaitons ouvrir un dialogue autour des risques que semblent représenter ces replis véhiculés par ce terme. Sans pour autant rejeter certains outils techniques qu’il y a derrière, ce terme nous semble problématique. Nous préférons proposer une autre approche autour de la notion de relocalisation ouverte. Cette notion s’inscrit dans la pensée de la Décroissance qui s’attache à construire des transitions qui soient démocratiques et sereines vers de nouveaux modèles de sociétés soutenables, souhaitables, mais aussi solidaires et autonomes.

Nos sociétés, qui plus est avec l’intensification des plans d’austérité, sont dominées par des peurs économiques : peurs du déclassement, de perdre son emploi, du non remboursement d’un prêt, pour l’avenir de ses enfants, etc. Ces peurs restent des constructions de la société de croissance qui les assume et, n’a jamais voulu (donc réussi à) les dépasser. Celles-ci s’inscrivent dans une logique d’aliénation de la société de croissance, puisque face aux dangers nous continuons à servir la mégamachine pour nous sauver, plutôt que de lutter contre elle. Ces peurs constituent nos chaînes.
« S’opposer les uns aux autres n’a finalement abouti qu’à la situation présente »

La réponse à ces peurs, pourtant, ne doit pas s’inscrire dans la réaction palliative de protection réflexe. De qui, de quoi ? Tout le monde subit les désastres sociaux, humains et écologiques de ce système productiviste oligarchique aberrant. Ce n’est pas en s’inscrivant dans une réaction de repli au problème que nous pouvons nous en sortir. S’opposer les uns aux autres n’a finalement abouti qu’à la situation présente. Or l’éternel retour du protectionnisme s’inscrit trop souvent dans la logique de sauver nos économies moribondes, sans se préoccuper de la manière dont les autres, de l’autre coté de la frontière, vont gérer ces mesures. De plus, le protectionnisme est déjà bien en place et participe à renforcer les dominations en cours (exemple de la destruction des petites productions agricoles africaines incapables de résister à la concurrence déloyale de l’agriculture occidentale subventionnée).

Au-delà de sa définition, le terme même de protectionnisme pose problème. En effet, le terme est une défense à un dysfonctionnement du système économique. Or, l’enjeu n’est pas tant de grignoter des miettes ici ou là pour sauver de l’emploi. L’enjeu est encore moins de réindustrialiser nos sociétés dites développées, ou de protéger nos exportations quel qu’en soit le contenu. Il ne s’agit donc pas, à l’image de ce que propose le développement durable pour les enjeux écologiques « polluer moins pour polluer plus longtemps » de « se protéger plus pour produire plus longtemps dans des conditions indignes, des saloperies inutiles » ! Certes, le protectionnisme peut être pensé et construit comme un outil de justice social… Mais finalement il devient un outil pour retrouver de la croissance, au mieux en s’isolant des autres, au pire au détriment des autres. Il s’inscrit souvent dans une logique d’opposition ou d’indifférence à l’extérieur.
« Sortir la religion de l’économie, nous libérer de ces addictions »

En fait, ce type de raisonnement part de l’illusion que la société de croissance serait encore possible par de simples mesures économiques. Le protectionnisme serait même un outil pour relancer cette sacro-sainte croissance (ou éviter une récession trop violente) dans notre pays. Il suffirait d’ériger des murs et des barrières, d’ajouter de l’économie palliative sur le déjà trop d’économie.

Or, l’enjeu n’est pas de trouver des palliatifs pour adoucir la tyrannie de l’économie, ni de réguler l’économie. Il s’agit bien de sortir la religion de l’économie, de nous libérer de ces addictions, de faire des « pas-de-côté » et de questionner le sens de nos productions bien plus que d’en protéger leur localisation.

Ainsi, le protectionnisme, tel qu’il est présenté au grand public, n’apparaît pas forcement comme une alternative à la société de croissance ou à une véritable solution d’avenir … Car selon nous, l’enjeu est bien de sortir de la logique croissanciste et non de tenter une énième régulation qui s’inscrirait dans la réaction ou dans l’affrontement.

L’enjeu est d’initier des transitions vers de nouveaux modèles de sociétés qui soient écologiquement soutenables, socialement juste, conviviaux et autonomes. Or, si nous devons imaginer d’autres possibles, nous devons sortir des schémas de pensée dominants (l’économicisme pour le cas présent) et s’émanciper de ses mots et concepts toxiques...
« Construire des murs ne peut pas être une solution »

Il ne s’agit plus de choisir entre un libéralisme économique effréné et dévastateur, ou un protectionnisme régulateur et messianique. Il s’agit de sortir de la logique de l’économie toute puissante. En finir avec une économie décisionnaire de nos vies est la condition pour bâtir ensemble des sociétés sereines, soutenables et souhaitables.

L’enjeu est de revenir à de vraies questions. Celles du sens de nos vies, de nos productions, de nos consommations, de nos échanges, de nos vivre ensemble. Et ce, à toutes les échelles, en tenant des implications extérieures. Construire des murs ne peut pas être une solution. Puis, les murs finissent toujours par tomber. Nous devons les faire tomber.

Est-ce à dire que toutes les idées derrière le terme de protectionnisme sont inutiles ? Non, si nous en utilisons certaines comme des outils de transition au service d’une relocalisation désormais nécessaire de l’économie, mais dans une logique d’ouverture et d’altruisme, de dialogue et de manière concertée.

Par Anisabel Veillot, Christophe Ondet, Stéphane Madelaine, Vincent Liegey
Lire la suite sur le site de Basta (04/11/15)