Le magnifique exemple du Parc Maximilien
La "polémique du parc Maximilien" fait les gros titres des médias. Il convient pourtant de la ramener à ses justes proportions. Sur le fond de l'affaire, majorité et opposition sont en effet d'accord : ce "chaos" (Y. Mayeur) ne peut plus durer, "le parc doit être évacué" (A. De Croo), les réfugiés n'ont qu'à se contenter de ce qu'on met à leur disposition - "doit-on leur payer l'hôtel ?" (T. Francken).

La " désorganisation " organisée

Mais de quel "chaos" parle-t-on ? Au terme d'un exode où elles ont risqué leur vie, des centaines de personnes faisaient la file devant l'office des étrangers, passaient la nuit sur des cartons et survivaient dans des conditions indignes. Aucun responsable politique ne s'en émouvait outre mesure. Pourquoi ? Parce que ces mauvaises conditions d'accueil ont été mises en place délibérément, par l'UE, le gouvernement actuel et ceux qui l'ont précédé (notamment par Maggie De Block, avec le soutien d'Elio Di Rupo !). Elles font partie d'une stratégie perverse qui vise 1°) à décourager les candidat-e-s à l'asile et 2°) à effrayer la population belge pour qu'elle adhère à la politique de refoulement, en créant le mythe d'un " afflux " tellement énorme qu'il serait ingérable.

Rappelons quelques chiffres

Entre 2007 et 2013, moins de 20% des moyens consacrés par l'UE aux politiques migratoires (4 milliards €) ont servi à l’accueil. Le reste (3,3 milliards €) a servi à "éloigner", enfermer, "gendarmer" et à "repousser les frontières" le plus loin possible de l’Europe forteresse. Cette politique a eu un seul résultat tangible : rendre les routes des réfugiés plus longues et plus dangereuses, avec, à la clé, des milliers de morts supplémentaires.

Malgré un afflux important ces dernières semaines on est bien loin des chiffres de 2000 (42691 demandes annuelles pour 17213 en 2014) et plus de 70% de ces demandes d'asile sont rejetées. De plus, parmi celles qui sont acceptées, les "protections subsidiaires" - un droit limité dans le temps essentiellement accordé aux ressortissants de pays en guerre- sont en constante augmentation.

Le sursaut citoyen

La mobilisation citoyenne a mis un grain de sable dans cette stratégie. En Belgique et ailleurs, l'opinion publique s'est indignée du traitement inhumain réservé à ces hommes, ces femmes et ces enfants qui fuient des situations atroces. De l'intérieur même de la forteresse Europe, des citoyennes et des citoyens se sont levé-e-s en masse pour dire " Assez de cette barbarie" et organiser eux-mêmes un accueil digne de ce nom. Ce qui se passe au parc Maximilien est une des plus belles manifestations de ce sursaut de générosité et de solidarité.

Spontanément, en-dehors de tout appel d'association ou de parti, des centaines de personnes se sont mobilisées. En quelques jours, le parc a été transformé en un campemecampementnt ordonné, sûr, bien équipé, animé et chaleureux, riche en relations humaines. Des commissions thématiques ont été créées et une coordination mise en place. Partout dans le pays, les élans de solidarité se sont multipliés. Au lieu de dire "chaos", il faudrait dire "bravo". Au lieu de dénoncer une "honte pour la capitale de l'Europe " (Alexander De Croo), il faudrait dire "Nous sommes fiers". Au lieu de regretter que le parc soit devenu "un camping, un marché, presque un festival de musique" (De Croo, encore !), il faudrait s'enorgueillir de cette transformation qui montre que la peur de l'autre est infondée, que l'accueil est une richesse universelle et que la solidarité peut déplacer des montagnes.

Un message tout simple

Ce n'est pas le "chaos" qui inquiète les politiciens, mais la possibilité qui apparaît ici en pointillés d'un ordre alternatif, qui transforme un "lieu public" soumis à des réglementations bureaucratiques en espace commun autogéré et solidaire. Malgré toutes les difficultés, ce qui se passe au parc Maximilien montre que les problèmes sociaux sont mieux traités lorsque les gens eux-mêmes identifient les défis, délibèrent démocratiquement des solutions et s'auto-organisent pour les mettre en œuvre.

Nous qui plaidons pour plus de services publics pour tous, partout, nous disons : les responsables politiques doivent s'incliner devant le savoir-faire de la Plateforme citoyenne, fournir d'urgence des locaux décents et sûrs et embaucher du personnel à l'office des étrangers pour le traitement des dossiers. Plutôt que de laisser le patronat faire du repérage de qualifications à des fins de dumping social, ils doivent répondre aux besoins des personnes. Plutôt que d'encaserner les réfugié-e-s sans égard pour leurs besoins spécifiques, notamment ceux des femmes, ils doivent pourvoir à leur bien-être, en concertation avec eux et les gens qui les soutiennent. Le hic : ce serait admettre que la mobilisation citoyenne est plus efficace que l'ordre établi au service du profit et c'est ce que les politiques veulent éviter, de peur que la leçon soit assimilée par d'autres.

Au-delà du racisme

Il y a évidemment du racisme dans les propos de Francken et de De Wever, les partis de gauche ont raison de le dénoncer. Mais il y a aussi la volonté de garder le contrôle, de justifier le fait que les citoyens sont en fait exclus de la vraie citoyenneté, de prouver que la gigantesque et coûteuse machinerie de l'Etat est indispensable à la vie en commun. Et cette volonté-là, c'est peu dire qu'elle est partagée bien au-delà de la NVA : par la droite traditionnelle, bien sûr, mais aussi par la gauche institutionnelle.

L'affaire du Parc Maximilien dérange parce qu'elle montre en petit la possibilité de satisfaire les besoins sans passer par une bureaucratie d'Etat pléthorique et des politiciens professionnels. Ceux-ci ont raison d'être inquiets. Les sans-papiers avaient ouvert la voie en prenant en mains la coordination de leur lutte. Ils ont été les premiers aux côtés des réfugiés du parc. C'est maintenant le tour des bénévoles qui soutiennent les réfugiés, et des réfugiés eux-mêmes.

Un autre projet de société

Dès lors, il est permis de rêver. Au lieu de laisser des démagogues parler en leur nom sur le thème "Nos pauvres d'abord", les SDF, les personnes qui dépendent du CPAS et les chômeur-euse-s pourraient suivre l'exemple de l'auto-organisation. Quant au mouvement syndical, face aux manœuvres du patronat qui veut utiliser les réfugiés pour baisser encore plus les salaires, précariser le travail et démolir la sécurité sociale, il pourrait organiser lui-même l'intégration des arrivants au monde du travail et à ses luttes.

Face à la guerre économique dont toutes et tous sont victimes, toutes et tous pourraient s'auto-organiser, dans les quartiers et les entreprises, pour défendre leurs droits. Et si toutes ces structures coopéraient, on verrait émerger un autre projet de société, vraiment démocratique, basé sur le principe du commun et débarrassé de la haine, du racisme, de l'individualisme.

Utopie ? Peut-être. Mais ce sont les utopies surgies à d'autres moments de l'histoire qui ont inspiré nos conquêtes sociales. Les bénévoles et les réfugiés du parc Maximilien renouent en petit avec ces valeurs. A l'heure où le capitalisme semble n'avoir plus rien d'autre à offrir que la dictature politique, la régression sociale et la destruction écologique, ces valeurs sont promises à un bel avenir, mais il ne faut pas s'étonner qu'elles dérangent.

Par France Arets
A lire sur le site de la RTBF (25/09/15)