Plus d’un million d’emplois « écolos » sont possibles d’ici 2030
Les chiffres du chômage vont être publiés lundi 27 juillet : pas brillant. Et cela continuera tant que les décideurs négligeront l’écologie. Car c’est dans la politique économique écologique que l’on peut créer entre un million et un million et demi d’emplois, comme le montrent des études de plus en plus nombreuses et solides.

On commence à disposer d’un large éventail de bons scénarios sur les perspectives de créations d’emplois dans les activités et métiers directement ou indirectement liés à la transition écologique. L’exercice reste difficile car le périmètre de ces activités est forcément flou, certaines étant clairement « vertes » pendant que d’autres ne le sont qu’en partie ou indirectement. Il faut donc des conventions, qui ont commencé à se mettre en place internationalement et nationalement, en commençant par les « emplois verts ».

Pour ces derniers, une bonne référence mondiale est l’OIT (Organisation internationale du travail) dont le premier rapport Emplois verts : pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone, rédigé avec le PNUE, date de 2008. En 2012, l’OIT publiait un rapport Vers le développement durable : travail décent et intégration sociale dans une économie verte estimant que « la transition vers l’économie verte pourrait générer jusqu’à 60 millions d’emplois » dans le monde. Les travaux de l’OIT ont le grand avantage de mettre l’accent à la fois sur la finalité écologique des emplois et sur l’exigence de travail décent.

On distingue:
  1. les emplois de « l’économie verte » dans les secteurs et branches spécifiquement dédiés à l’environnement, encore appelés « éco-activités » (exemples principaux : gestion des eaux usées, déchets, énergies renouvelables)
  2. des emplois ou métiers qui ne font pas partie de ces « secteurs verts » mais correspondent en totalité ou en partie à des fonctions à finalités environnementales exercées dans des secteurs non verts. C’est la dualité des approches par secteurs et par métiers.

Métiers "verts" et "potentiellement verdissants"

On distingue ensuite, dans l’approche par métiers, les métiers typiquement verts et les métiers « potentiellement verdissants », qui sont beaucoup plus nombreux. On en trouve par exemple dans l’agriculture, l’entretien des espaces verts, le tourisme, l’industrie, le bâtiment et en fait presque tous les secteurs. Cette dénomination curieuse reflète l’embarras des producteurs de chiffres mais correspond à une difficulté réelle. Une référence en France est ici l’étude de 2014 de l’Observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte (ONEMEV) Le marché de l’emploi de l’économie verte, dont voici une citation :
« Un métier verdissant est un métier dont la finalité n’est pas environnementale mais qui intègre de nouvelles “briques de compétences” pour prendre en compte de façon significative et quantifiable la dimension environnementale dans le geste métier. » Par exemple les architectes ou les métiers de l’isolation thermique dans le secteur du bâtiment.

Quoi qu’il en soit, pour se faire une idée du potentiel de création nette d’emplois dans la transition écologique, il vaut mieux raisonner dans un premier temps par branches, en distinguant celles qui seront à l’origine de créations et celles dont l’emploi aura tendance à régresser à terme si l’on veut prendre soin du climat et des écosystèmes et réduire fortement des pollutions de toute sorte. Le premier bon exemple de cette démarche est issu du scénario NégaWatt (voir mes quatre billets) complété par une étude sur l’emploi que l’on doit à l’économiste Philippe Quirion.

La dernière version date de 2013 et, point essentiel, elle ne porte que sur la transition énergétique (et climatique), qui est certes le plus gros morceau de la transition écologique mais pas le seul. Autre point essentiel, les prévisions de créations et de suppressions d’emplois sont effectuées non pas dans l’absolu (par rapport à la situation actuelle par exemple) mais par rapport à un « scénario tendanciel » (en gros : sans renforcement des politiques de transition). Et bien entendu ce scénario tient compte aussi bien des secteurs créateurs d’emploi que des autres.

Economie circulaire : 200 000 à 400 000 emplois ajoutés

L’Institut de l’économie circulaire vient de publier une étude sérieuse : Quel potentiel d’emploi dans une économie circulaire ? En voici deux extraits :
« Notre étude estime que l’économie circulaire, telle que définie par les sept piliers développés par l’ADEME, emploie déjà près de 600 000 personnes en France. L’extrapolation à la France d’une étude commandée par la Commission Européenne en 2012 indique qu’une réduction substantielle de notre consommation en ressources naturelles permettrait d’en créer entre 200 000 et 400 000 supplémentaires. Nous tentons de préciser ce potentiel en répertoriant l’ensemble des travaux qui ont été menés sur la relation entre créations d’emplois et économie circulaire. Les études les plus poussées proviennent du Royaume-Uni, où il est estimé que plus de 500 000 emplois pourraient être créés à l’échelle nationale. »

« L’ADEME a identifié les sept composantes opérationnelles sur lesquelles il est possible d’agir afin de favoriser la transition :
- l’approvisionnement durable ;
- l’écoconception ;
- l’écologie industrielle et territoriale ;
- l’économie de fonctionnalité ;
- la consommation responsable ;
- l’allongement de la durée de vie (réparation, réemploi et réutilisation) ;
- le recyclage et la valorisation des déchets. »

Question : n’y a-t-il pas de double emploi entre cette étude sur l’économie circulaire et le scénario NégaWatt ? Réponse, oui en principe (car l’économie circulaire, incluant ici l’économie de fonctionnalité, si elle vise d’abord à économiser de la matière, concerne aussi pour une part des économies d’énergie), mais en fait pratiquement pas sur le plan des emplois concernés.

Les gros bataillons de l’emploi de l’économie circulaire sont en effet dans cette étude le recyclage, l’allongement de la durée de vie des produits et la réparation, la réutilisation et le gros poste de l’approvisionnement durable, autant d’activités qui ne sont pas comptabilisées dans le scénario NégaWatt. On ne commet donc pas d’erreur significative en ajoutant les perspectives de création d’emplois de ces deux scénarios, ce qui nous mène déjà à une fourchette comprise entre 800 000 et 1,27 million d’emplois d’ici 2030.

Agriculture, sylviculture et pêche : + 200 000 à 250 000

Reste à tenir compte de la réorientation écologique de l’agriculture (son verdissement) et de son potentiel de création d’emplois, en y ajoutant les activités de la pêche et des forêts (le secteur primaire). En étant très restrictif, on ne comptera comme emplois vraiment verts dans l’agriculture que ceux de l’agriculture bio ou agro-écologie. Je me contenterai d’un chiffre issu de rares sources (concordantes mais malgré tout pas très fiables), chiffre selon lequel il faudrait 30 à 40 % d’emplois en plus, à production identique en quantités, lorsqu’on passe de l’agriculture traditionnelle actuelle à une agriculture bio (moderne, mais ni chimique ni industrielle).

Sur cette base, j’estime - en attendant de disposer d’études sérieuses qui pour l’instant font défaut mais qui sont annoncées pour cette année - que le potentiel de création d’emplois d’ici 2030 en cas de vraie politique de transition/relocalisation est de + 100 000 à 150 000, nettement plus si l’on raisonne (comme le fait NégaWatt) par rapport au scénario tendanciel, lequel continuerait à détruire des emplois agricoles. Le secteur primaire a perdu environ 100 000 emplois entre 2004 et 2014. On peut penser qu’il en perdrait autant dans les quinze ans qui viennent, de sorte qu’en comparaison le scénario le plus écolo serait à + 200 000 à 250 000.
Au total, les emplois verts tels que définis ici pourraient ajouter entre 1 et 1,5 million d’emplois en quinze ans. En moyenne 1,25 million, soit 4,6 % des 27,3 millions d’emplois de l’économie française en 2014.

L’ordre de grandeur de 4,5 % à 5 % d’emplois verts ajoutés correspond très exactement à ce qui a été obtenu sous l’égide de l’association basque Bizi ! (voir ce billet) si on ne retient parmi les 10 000 emplois anticipés d’ici 2030 pour le « pays basque nord » (en France) que les emplois verts au sens précédent, soit 6 800 emplois sur un territoire qui en compte environ 140 000 : cela fait 4,85 %. Un scénario semblable existe pour le pays basque sud (en Espagne) et je sais qu’un livre doit prochainement en rendre compte, mais il y a fort à parier qu’on aura un ordre de grandeur semblable.

Précisions

Il ne s’agit dans ce qui précède que d’emplois « écolos » dans les principaux secteurs et branches considérés comme directement affectés. J’avais dans une série de billets antérieurs (« On peut créer des millions d’emplois utiles dans une perspective durable ») nettement élargi la perspective de la création d’emplois futurs dans d’autres domaines, dont celui des besoins criants de services destinés aux personnes âgées, à la petite enfance, dans certains services publics, etc.
J’avais aussi envisagé des mesures d’urgence ciblées : chômeurs de longue durée, droit de préemption et reprise des entreprises en coopératives, emplois aidés… J’avais également intégré alors le potentiel de la RTT. Il faut donc voir le présent billet comme une actualisation d’un seul des volets d’une stratégie collective favorable à l’emploi utile au service de besoins soutenables.

Par Jean Gadrey

Lire sur Reporterre (27/07/2015)