La formation au service du développement local
 En Italie, quelque 2 000 "coopératives sociales" sont en opération. Cette formule, qui concilie insertion de personnes en difficulté et services à la population, est-elle une piste à explorer pour le développement des zones rurales?

La coopérative "Fraternità" n'est pas exactement située dans une "zone rurale fragile": installée à Ospitaletto, à la périphérie de Brescia, elle opère dans une des régions les plus prospères de l'Union européenne. "Mais c'est l'une des plus anciennes coopératives sociales d'Italie, indique Enzo Pezzini, représentant à Bruxelles du CGM, le consortium national des coopératives sociales italiennes. "Très performante, elle a fait de nombreux adeptes ailleurs dans le pays et son mode d'organisation, comme le type d'activités qu'elle assure - horticulture, floriculture et entretien de l'espace -, est fréquent dans les zones rurales défavorisées."

Fraternità a été fondée en 1979, se concentrant d'abord exclusivement sur l'hébergement et l'accompagnement de personnes en difficulté - jeunes connaissant des problèmes familiaux, adultes sans abri, exclus, etc. "Mais en 1984, explique l'un des responsables Alberto Festa, la Ville de Brescia a proposé à Sol.Co., le consortium provincial des coopératives sociales, de prendre en charge la gestion et l'entretien des espaces verts municipaux. Pour pouvoir répondre à cette demande, Sol.Co. a encouragé quatre coopératives sociales, dont Fraternità, à se spécialiser en structures d'insertion professionnelle."

Ce contrat, conjugué à des subventions octroyées par la Région de Lombardie, a permis à Fraternità de se développer rapidement, jusqu'à devenir l'entreprise qu'elle est aujourd'hui, occupant une soixantaine de salariés, dont 25 travailleurs défavorisés, et réalisant annuellement un chiffre d'affaires de quelque 2 millions d'ECU.

60% de ces revenus proviennent de contrats publics, essentiellement les activités de gestion des espaces verts de Brescia, le reste étant généré par la prestation de biens et services sur le marché privé: production de plantes et de fleurs, entretien de jardins appartenant à des particuliers ou à des entreprises, etc. Ces activités étant saisonnières, les travailleurs sont affectés au cours des mois creux à d'autres tâches, en fonction de leurs compétences. Ainsi Fraternità, qui dispose d'un service informatique utilisé notamment pour la conception d'aménagements paysagers, assure aussi l'encodage des abonnés de deux compagnies de distribution d'eau, de gaz et d'électricité, ainsi que le relevé des compteurs.

Solidarité & Cie

Fraternità est une "entreprise" dans tous les sens du terme: les coopératives sociales italiennes fonctionnent en effet comme des entreprises commerciales à part entière. Si l'on exclut certaines aides au démarrage, les seules aides publiques directes qu'elles reçoivent correspondent à l'exonération des charges sociales dont elles bénéficient pour les travailleurs désavantagés qu'elles emploient, en moyenne 1/3 du personnel des coopératives d'insertion (dites "de type B" selon la loi italienne).

Elles peuvent cependant compter sur l'esprit de solidarité propre au milieu rural ou à des régions à structure socio-économique particulière: "Le tissu très dense de petites entreprises familiales, comme c'est le cas dans cette partie de l'Italie, favorise la mobilisation des solidarités", souligne Elena Zanoletti, agent de recherche au CGM. "En amont, les demandeurs de services sont conscients de notre utilité sociale, ce qui facilite l'obtention des contrats; en aval, les travailleurs qui quittent la coopérative à la fin de leur période de réinsertion trouvent assez facilement une embauche à l'extérieur, dans une PME locale." Solidarité oblige, Fraternità a bénéficié également au cours de ses premières années de fonctionnement de l'aide de "mécènes" locaux et de grandes entreprises privées qui lui ont fourni une partie de l'équipement nécessaire - machines, mobilier pour les serres, etc. -, même si la loi italienne n'accorde aucune déduction fiscale pour les dons privés aux organismes humanitaires.

Subsidiarité

La plupart des coopératives sociales sont regroupées en "consorzi", organisés sur une base territoriale qui correspond souvent, mais pas forcément, à une province. Ainsi les 62 coopératives sociales de la province de Brescia sont associées au sein du consortium "Sol.Co.", le plus ancien groupement de coopératives sociales d'Italie. Comme l'explique son vice-président, Giuseppe Pezzotti: "c'est le principe de la subsidiarité qui prévaut; le consortium permet de faire ce que la coopérative ne peut réaliser seule, surtout lorsqu'elle est petite. Nous lui fournissons une assistance technique constante, souvent aussi une caution financière; nous organisons la formation des responsables, assurons la comptabilité, le conseil juridique, le secrétariat social, etc."

Depuis l'entrée en vigueur de la loi de 1991 sur les coopératives sociales, le consortium est de plus en plus l'interlocuteur unique des autorités locales et régionales en ce qui concerne l'octroi des contrats publics. "C'est un peu l'officialisation d'une situation de fait qui convient à toutes les parties intéressées", précise Giuseppe Pezzotti. "Après tout, la principale raison de la création du consortium en 1983 était de réguler les flux de travail: nous répartissons les contrats de prestations de services entre toutes les coopératives en fonction de leur spécialité, de leur localisation et de leur disponibilité."

Le consortium permet également de fédérer les coopératives d'un même secteur: par exemple, les 12 coopératives sociales de la province de Brescia spécialisées en entretien de l'espace fonctionnent en réseau, "Sol.Co. Verde", qui est aussi une image et un label de qualité facilitant la commercialisation des produits et services.

A la fois acteur et observateur privilégié, le consortium peut impulser la création d'une coopérative sociale dans un secteur ou une zone où un besoin particulier se fait sentir: ainsi la coopérative "Exodus", près de Brescia, a été créée en 1986 pour répondre au problème de l'insertion de prisonniers accomplissant des peines alternatives à l'incarcération. Exodus est à présent une entreprise d'une vingtaine d'employés qui produit des volets pour le compte d'importantes entreprises privées de matériel de construction.

Initiatives locales

Mais le plus souvent, la mise sur pied d'une coopérative émane de la population, "de la volonté des citoyens de maintenir sur place les membres de leur famille âgés, handicapés ou en difficulté", précise Alfredo Domestici, président du consortium de la vallée Camonica, zone d'Objectif 5b. "Il fallait localement mettre en place des services d'assistance sociale. Depuis 1986, 8 coopératives se sont créées, dont 4 de type B car ici les problèmes d'insertion professionnelle sont aggravés par le déclin industriel de la vallée, aucune nouvelle activité n'ayant compensé la fermeture brutale de la sidérurgie."

Près de la petite ville thermale de Darfo, l'une de ces coopératives, "Pro Ser-Valcamonica", qui est en train de diversifier ses activités vers le tourisme, compte sur LEADER II pour pouvoir restaurer des bâtiments de caractère et élaborer des circuits.

"Là où il y a identité locale forte, il y a coopération forte. Née dans les villes, la coopération sociale n'a eu aucune difficulté à conquérir le milieu rural", fait remarquer Luciano Imperadori, directeur de la recherche à la Confédération des Coopératives du Trentin, province qui compte 39 coopératives sociales, plusieurs d'entre elles étant situées dans les deux zones LEADER Alta Val di Non et Lagorai Sud. "Nous n'avons pas axé LEADER I sur les services à la population et les coopératives sociales", reconnaît Fabio Giacomelli, responsable du GAL Alta Val di Non, "mais, en tant que BIM (*), nous les soutenons à travers d'autres programmes. Beaucoup de synergies sont en effet possibles entre LEADER et les coopératives sociales. Je pense surtout à la gestion des infrastructures culturelles dans les villages isolés et à notre projet de valorisation des petits fruits..."

(*) NDLR: Dans les zones de montagne italiennes, les BIM ("Bacini Imbriferi Montani") sont des organisations intercommunales chargées de redistribuer les revenus générés par l'exploitation des ressources hydro-électriques locales, dans une perspective d'aménagement du territoire.
Radioscopie d'un phénomène

Sur les 1883 coopératives sociales recensées en Italie en 1993, 47% se trouvaient dans le nord du pays, 24% dans le centre et 29% dans le sud et les îles. Elles représentaient 13% de la part du budget national consacrée aux affaires sociales.

Les coopératives de type A (gestion de services socio-sanitaires et éducatifs), selon la terminologie de la loi de 1991, représentent 78% des coopératives sociales italiennes. Elles interviennent auprès des handicapés (30% des utilisateurs), des personnes âgées (23%), des jeunes en difficulté (20%), des adultes défavorisés (15%), des malades mentaux (8%), etc. (4%). 43% d'entre elles sont spécialisées dans un seul groupe de clientèle;

Les secteurs d'activités des coopératives de type B (insertion professionnelle des personnes en difficulté) sont les services (30% des coopératives de ce type), l'artisanat (25%), l'agriculture (24%), l'industrie (13%) et le commerce (8%). Les travailleurs défavorisés qu'elles emploient - légalement au moins 30% des membres de la coopérative - se répartissent entre adultes marginalisés (36%), handicapés (33%), psychiatrisés (19%), jeunes mineurs (4%), et autres catégories (8%). Beaucoup de ces travailleurs sont jeunes: près de 40% ont moins de 25 ans et près de 65%, moins de 30 ans.

En 1992, le chiffre d'affaires moyen d'une coopérative sociale s'élevait à près de 500 000 ECU. Il s'agit le plus souvent de petites entreprises puisque 72% d'entre elles emploient moins de 30 salariés.

Les coopératives sociales sont affiliées à l'une ou l'autre des deux fédérations nationales du mouvement coopératif italien - Federsolidarietà/Confcooperative (1300 coopératives) et Lega delle Cooperative (500) - mais un grand nombre d'entre elles sont regroupées au sein d'une même structure nationale, le CGM (Consorzio Nazionale della Cooperazione di Solidarietà Sociale Gino Matarelli).

A noter que parallèlement aux coopératives sociales, existent également des "coopératives environnementales" alliant elles aussi une mission sociale à des activités commerciales: elles emploient dans des domaines liés à la protection de l'environnement jeunes peu qualifiés et chômeurs âgés ou de longue durée.

Source: CGM, rapport McKinsey & Company (1994)
Activités des coopératives d'insertion par secteur:

Entretien de l'espace et activité agricole: 24%

Assemblage: 15%

Artisanat: 14%

Nettoyage: 13%

Imprimerie: 5%

Reliure: 4%

Restauration de bâtiments: 3%

Environnement: 3%

Informatique: 3%

Buanderie: 3%

Gestion de parkings: 1%

Autres (textile, électricité, menuiserie, etc.): 12%

Par LEADER magazine n°10
A lire sur le site Rural Europe (hiver 1995-96)