Des millions de manifestants contestent la prise de pouvoir de Donald Trump
 Au lendemain du discours d’investiture violent, nationaliste et aux tonalités fascistes de Donald Trump, des millions de résistantes et résistants sont descendus dans les rues de Washington, de New York et de centaines de villes à travers les Etats-Unis et le monde entier. Il s’agit d’un évènement historique sans précédent. Selon les experts,[1] les contestataires de samedi étaient trois fois plus nombreux que les participants à la cérémonie officielle de la veille, alors que dans les sondages le soutien à Trump est descendu à 32%.

Alors que Trump a repris comme slogan de son régime le mot d’ordre des isolationnistes profascistes de 1940 « America First » (l’Amérique d’abord), la grande Marche des femmes a rassemblé des masses sans précédent pour affirmer la solidarité de tous les opprimés – femmes, travailleurs exploités, minorités ethniques, religieuses, sexuelles, victimes civiles de guerres impérialistes américaines. Comme l’a remarqué le cinéaste Michael Moore : « Trump est un grand unificateur. »

Ces énormes foules hétéroclites mais solidement unifiées se sont rassemblées suite à l’initiative sur Facebook d’une poignée de femmes anonymes. Contre la misogynie et le racisme affichés de Trump, tous et toutes ont affirmé que l’oppression des femmes est à la base de toutes les oppressions. On y a vu beaucoup de jeunes, pour qui c’était la première manifestation publique, aux côtés de vétérans de toutes les manifestations depuis la Guerre du Vietnam et Martin Luther King.

Toutes les orateurs et toutes les pancartes proclamaient la solidarité mutuelle entre les mouvements sociaux qu’ils représentaient – tout en maintenant en même temps leurs propres revendications de groupe. L’orientation des foules était clairement vers les luttes à venir. Il n’y avait guère d’allusions au débâcle des élections de 2016 et presque personne n’a mentionné le nom de Clinton.

On avait l’impression de l’avènement d’un mouvement uni de résistance face à un gouvernment qui affiche très clairement son intention d’enrayer tous les acquis sociaux du dernier demi-siècle: émancipation des femmes (droit à l’avortement), émancipation des noirs (droit de vote), émancipation des travailleurs (droit syndical), liberté d’opinion, de presse et d’association, sécurité sociale (retraites, santé), libertés civiques de toutes les minorités opprimées. « Nous refusons de retourner dans les années cinquante » proclamaient de nombreuses pancartes.

La montée de la résistance populaire à Trump

Comment cette manifestation géante, militante, unitaire s’est-elle organisée ? La résistance populaire à l’élection de Donald Trump débuta dès le soir du 8 novembre, quand, bouleversés par le résultat inattendu, des dizaines de milliers d’américain/es (en grande majorité des femmes) descendirent spontanément dans les rues des villes principales aux cris de « Pas notre président ! » Le lendemain, étudiants et étudiantes organisèrent spontanément des centaines de grèves un peu partout, quittant leurs lycées pour manifester dans la rue.
Le vague de sentiment populaire de l’illégitimité de Trump se précisa dans les jours qui suivirent quand le public apprit que le Président-élu avait été battu par près de trois millions de votes, tout en profitant de manipulations douteuses en sa faveur. L’éditorialiste du sobre hebdomadaire progressiste The Nation appela à “une désobéissance civile massive non-violente quotidienne, telle qu’on n’en a pas vu dans ce pays depuis des décennies. »[2]

Le 9 novembre à Hawaï, une retraitée américaine de 60 ans, ahurie par la misogynie affirmée de Trump, proposa sur Facebook de manifester à Washington pour s’opposer à son investiture. En une nuit des milliers de personnes rejoignirent l’événement. Deux jours plus tard et des milliers de kilomètres plus loin, à New York, une autre femme lança la même idée et recruta trois activistes (dont une Palestinienne) pour organiser une grande marche des femmes sur Washington contre le Misogyne-en-Chef. Elles furent vite rejointes par des millions de femmes et éventuellement 200 organisations qui réussirent, malgré des conflits identitaires, à s’unir et à entreprendre cet exploit d’organisation nationale.
Des marches semblables s’organisèrent dans plusieurs villes des Etats-Unis et à travers le monde - une nouvelle fois grâce à Internet et les médias sociaux qui permettent aux individus de surmonter l’isolement géographique, de communiquer et de se rassembler en temps réel. L’incertitude autour des résultats persista et des résistants essaièrent d’obtenir un recompte dans trois états clés où le destin de la nation fut décidé par quelques dizaines de milliers de votes.
En revanche, à Washington, les élites des deux partis responsables de cette débacle anti-démocratique tentent de serrer les rangs devant la remise en question de la légitimité de leur « duopolie » politique. Obama, souriant, invite Trump à la Maison Blanche pour lui affirmer que « nous allons maintenant faire tout ce que nous pouvons pour vous aider à réussir car si vous réussissez, alors le pays réussit». Tentative pour calmer le jeu, normaliser la situation, banaliser le mal. [3] Mais le Donald n’a pas voulu jouer le jeu, et le Président-élu continue de scandaliser l’opinion avec ses Tweets ahurissants (deux millions de « votes frauduleux » en faveur de Clinton) et ses attaques personnelles répétées contre ses critiques (dont Meryl Streep, Neil Young, Whoopi Goldberg, Samuel L. Jackson et le comique John Oliver.)

Devant le danger les mouvements serrent les rangs

Les mouvements sociaux plutôt autonomes qui caractérisent le paysage politique étatsunien se rendent compte de la réalité et la gravité de la nouvelle situation. Toutes les trois branches du gouvernement seront désormais aux mains de la droite républicaine réactionnaire du « Tea Party » et des nationalistes blancs. Devant le danger évident, ils commencent à mettre de côté les divisions identitaires et à se rapprocher afin de se préparer à une longue lutte pour la survie. Résumons :
· L’appel à la marche des femmes ouvre la brêche et, comme nous venons de le voir, bientôt les autres mouvements se solidariseront.
· La dure résistance des Indiens de Standing Rock et de leurs alliés contre les pétroliers et leurs polices a servi d’avant-garde et finit par gagner une victoire, au moins temporaire.
· Alors que les agressions de rue contre les minorités se multiplient à la suite du triomphe électoral de Trump, et que l’impunité des policiers assassins de noirs désarmés continue de faire scandale, la résistance s’amplifie dans les mouvements antiracistes comme #BlackLivesMatter, soutenus par les défenseurs des droits des minorités, les églises et les associations culturelles noires. Tous se mobilisent pour défendre les acquis des années Malcom X et Martin Luther King et se rapprochent de leurs alliés. Même réaction dans la communauté des minorités sexuelles (LGBT et al).
· Des millions de familles d’immigrés, en majorité latinos, déjà durement persécutés par Obama (deux millions de déportés, des milliers de femmes et enfants détenus dans des prisons privées) se préparent aux luttes à venir. Par solidarité, des églises, des villes et des régions leur offrent des « sanctuaires » et refusent de coopérer avec les forces fédérales en cas de tentatives de déportation.
· Le mouvement ouvrier, un moment séduit par les promesses de Trump de créer de l’emploi dans l’infrastructure (bâtiments, ponts et chausées) et de favoriser le travail « américain » (càd blanc) est désormais confronté à la réalité : c’est une escroquerie.[4] Le soutien populaire du Président-élu est descendu à 32% (d’après les sondages). Le mouvement se rapproche du précariat des minorités surexploitées à bas salaires, et met en avant la revendication demande de classe d’un salaire minimum de $15 de l’heure.
· De nombreux artistes, comédiens, musiciens et écrivains – femmes et hommes – profitent de chaque occasion pour déclarer leur résistance au nom de la solidarité humaine et de la liberté d’expression. Ils refusent quasi unanimement les invitations à participer aux spectacles liés à l’investiture, réduits hier aux artistes « country, » aux chansons patriotiques et aux défilés de cornemuse.
· Alors que les élites démocrates continuent à défendre leur choix désastreux d’une candidate élitiste impopulaire, le sénateur indépendant Bernie Sanders poursuit sa croisade socialdémocrate. A l’intérieur du parti démocrate une jeune garde progressiste tente d’en prendre la direction et propose comme chef un jeune homme de couleur et de confession musulmane, Keith Ellison, député du Minnesota.
· Enfin, sur les deux côtes, les autorités publiques de nombreuses villes, régions et états affichent leur résistance. Maires, gouverneurs et parlementaires promettent de défendre leurs habitants et leurs habitats contre les dégradations du gouvernement Trump en refusant toute coopération avec les autorités fédérales. La Californie par exemple, état comparable à la France en richesse, population et territoire, fière de ses statuts protégeant l’environnement, vient de passer des lois bloquant l’intervention fédérale. L’état de Californie a également affirmé qu’il paiera la défense légale des immigrés arrêtés par le gouvernement fédéral, alors que des administrateurs à tous niveaux incitent leurs employés à saboter bureaucratiquement les directives néfastes venant de Washington.[5]

Un front uni construit par le bas

Ainsi, de semaine en semaine, cette résistance s’organise, se fédère. Femmes, indigènes, écologistes, immigrés, noirs, travailleurs pauvres, antimilitaristes, défenseurs des droits de l’homme, étudiants, minorités ethniques, sexuelles et religieuses (surtout les musulmans) s’unissent, tout en gardant leurs revendications particulières mais aussi en se solidarisant avec celles des autres groupes ciblés. Il s’agit d’un véritable front uni de mouvements sociaux contre le fascisme, construit par le bas.
Cette résistance autonome a le grand avantage de ne pas être inféodée à aucun parti politique. Car la principale faiblesse des grands manifestations du passé récent – les mouvements anti-nucléaire, féministes, antiracistes — a toujours été de se retrouver captés par le parti démocrate, qui séduit et coopte leurs leaders. Or aujourd’hui les Démocrates sont complètement discrédités. Clinton s’est autodétruite et fait profil bas.
Obama, à la toute dernière minute, tente de sauver son héritage en pardonnant le jeune lanceur d’alerte Chelsea Manning. Mais personne n’oublie qu’Obama a fait arrêter d’avantage de journalistes que tous les autres présidents et a ainsi facilité la tâche à Trump, qui a déjà déclaré la guerre à la liberté de la presse. Dans son émouvant discours d’adieux, Obama a loué l’apport des immigrés à la nation. Ainsi le « déporteur-en-chef » essaie de se racheter et de se positionner comme possible porte-parole de l’opposition à Washington. « Pathétique » comme dirait Trump. Seul le socialiste Bernie Sanders est sorti la tête haute du débâcle des élections de 2016. Le vieux sénateur indépendant du Vermont (même pas démocrate) admiré par tous, est seul dans son camp.

Quelles Perspectives ?

Ainsi, les magnifiques manifestations de masse du 21 janvier à Washington et à travers le pays et le monde manifestent effectivement d’une résistance généralisée à la prise de pouvoir d’un chef autoritaire, nationaliste, raciste, proto-fasciste à la tête d’un gouvernement de milliardaires réactionnaires qui veut effacer tout le progrès social des dernières 50 annees. Si l’esprit de ces manifestations se répand, si l’unité des mouvements se consolide, si cette solidarité s’approfondit et s’organise, alors cette résistance deviendra historique. Mais dans quelle perspective ? Clairement, les représentants des divers mouvements qui ont pris la parole le 21 janvier entendent passer de la défensive à l’offensive. L’écrivain et critique d’art John Berger écrit :
Théoriquement, les manifestations manifestent la force de l’opinion ou du sentiment public ; théoriquement, elles font appel à la conscience démocratique de l’Etat. Mais ceci implique une conscience qui a peu de chance d’exister. En vérité, les manifestations sont des répétitions pour une révolution ; pas des répétitions stratégiques ni même tactiques, mais des répétitions de conscience révolutionnaire. Le délai entre les répétitions et la véritable représentation peut être très long, mais toute manifestation à laquelle manque cet élément de répétition est mieux décrite comme un spectacle public officiellement encouragé.[6]

[1] https://www.nytimes.com/…/womens-march-trump-crowd-estimate…
[2] https://www.thenation.com/article/welcome-to-the-fight/
Voir aussi : https://aplutsoc.wordpress.com/…/contribution-usa-bienvenu…/

[3] Voir https://blogs.mediapart.fr/…/usa-la-banalisation-du-mal-par…
[4] Trump offre aux chômeurs américains les méchants étrangers – mexicains, chinois — en boucs emmisaires. En fait, la production (et les profits) des industries américaines n’ont pas cessé de grandir, et l’automation a suprimer beaucoup d’avanage d’emplois que la délocalisation. Les projets de travaux publics de Tromp, comme ses hôtels, sont des arnaques faites pour enrichir ses copains en utilisant des travailleurs étrangers !
[5] https://www.nytimes.com/…/california-strikes-a-bold-pose-as…
[6] http://www.redwedgemagazine.com/…/the-nature-of-mass-demons…

Par Richard Greeman