Syriza et Podemos : l’espoir se construit en marchant
Le 29 décembre dernier, le chef du gouvernement conservateur grec de la Nouvelle démocratie, Antonis Samaras, échouait à réunir les 180 députés nécessaires pour faire élire son candidat à la présidence de la république, l’ancien commissaire européen à l’Emploi, Stavros Dimas, provoquant des élections législatives anticipées, le 25 janvier prochain. Aujourd’hui, les sondages créditent SYRIZA et son programme anti-austérité, décliné par Alexis Tsipras à Thessalonique, le 13 septembre, de 27 à 28% des intentions de vote.

Un programme d’urgence

Que demande SYRIZA ? D’abord des mesures en faveur des plus démunis dans les domaines de l’alimentation, des soins médicaux, de l’énergie, du logement, des transports, des retraites, etc. ; ensuite des dispositions fiscales (exonération des revenus inférieurs à 12 000 euros, taxation des grandes fortunes immobilières plutôt que de la petite propriété, annulation des dettes des personnes insolvables) ; la création de 300 000 emplois dans le public, l’économie sociale et solidaire et le privé ; le rétablissement des conventions collectives, le relèvement des salaires à leur niveau d’avant la crise et le prolongement des indemnités chômage ; enfin, la création d’une banque de développement publique.
Pour financer un tel programme, estimé à 11,5-13,5 milliards d’euros par an, SYRIZA annonce sa volonté d’exiger les arriérés d’impôts de ceux qui en ont largement les moyens, de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, ainsi que contre la contrebande. Mais il affiche aussi sa résolution d’annuler une grande partie de la dette publique grecque, d’un montant de 300 milliards d’euros (175% du PIB), jugée largement illégitime, dont les intérêts absorbent 10 milliards d’euros par an, sans parler de son amortissement.

Briser le mur de l’austérité

La réalisation d’un tel programme d’urgence suppose une bataille pour l’unité de la gauche en direction du PC (KKE) et de la coalition d’extrême-gauche ANTARSYA, et non de petites forces du centre-gauche ou de transfuges du PASOK. Elle nécessite aussi et surtout le renforcement de la mobilisation et du contrôle populaires sur un tel processus, de même que le développement d’une solidarité active à l’échelle européenne. SYRIZA compte actuellement moins de 50 000 membres, mais ses principaux alliés, ce sont les mobilisations sociales.
L’émergence de nouvelles forces politiques anti-austérité au sud de l’Europe, comme SYRIZA et PODEMOS, capables de rassembler 20 à 30% des intentions de vote, voire plus, par dessus la tête du binôme conservateurs/sociaux-démocrates, et donc potentiellement en situation de former un gouvernement de rechange, est un signe des temps. Il montre qu’il est possible de choisir une autre voie que la capitulation devant les oukases de la bourgeoisie européenne et de ses institutions. Pour bâtir une telle alternative, encore faut-il refuser d’abord toute alliance politique avec la social-démocratie, contrairement à ce que font aujourd’hui le PCF en France, Izquierda Unida en Espagne ou Die Linke en Allemagne, à l’échelon local ou régional.

Refonder la social-démocratie ?

L’arrivée au pouvoir de SYRIZA, et demain peut-être de PODEMOS dans l’Etat espagnol, ouvrirait de nouvelles possibilités pour les forces anticapitalistes européennes. Elle poserait en effet la question stratégique centrale de la nature de l’affrontement en cours avec le capitalisme. S’agit-il d’une bataille politique pour refonder un projet social-démocrate authentique, abandonné par les dirigeants des partis socialistes actuels, afin de donner à la construction européenne un nouveau contenu social et écologique ? ou s’agit-il plutôt du début d’un processus révolutionnaire, dont l’enjeu demeure la rupture avec le capitalisme et la fondation d’un nouvel ordre social ?
Pour le sociologue italien Luciano Gallino, supporter de Sinistra Ecologia e Libertà (SEL) – un regroupement issu de Rifondazione Comunista, de la gauche du Parti démocrate et des écologistes –, ces nouvelles forces ne font en réalité que renouer avec un programme réformiste pour le développement d’une Europe sociale et écologique.« Dans l’ensemble, notait-il dans La Reppublica du 16 décembre dernier, les deux programmes de SYRIZA et de PODEMOS, semblent être plus solidement sociaux-démocrates, concrets et adaptés à la situation actuelle de l’UE et à ses causes, que ce qu’aucun autre parti européen n’a réussi à exprimer jusqu’ici ».

Un gouvernement de gauche ne suffit pas

Ceux qui défendent ce type de perspectives aujourd’hui en Europe invoquent souvent le bilan positif des gouvernements progressistes du Venezuela, de Bolivie ou d’Equateur, dont les conquêtes sociales et démocratiques de ces 10 à 15 dernières années ont fait bouger profondément les lignes en Amérique latine. Toutefois, on notera que ces avancées se sont jusqu’ici essentiellement limitées à la redistribution des richesses produites, tandis que la propriété capitaliste, pourtant extrêmement concentrée, n’a pratiquement pas été touchée. C’est d’ailleurs l’une des raisons de leur vulnérabilité, qui explique que les classes dominantes ne désarment pas, exigeant toujours leur annulation par tous les moyens, adossées à leurs capitaux, aux pressions des marchés et à la puissance politico-militaire de l’impérialisme US.
Sans nier d’aucune façon l’importance de tels succès politiques, qui peuvent ouvrir la voie à des mesures anticapitalistes plus radicales, il faut aussi en comprendre les limites. S’ils ne s’accompagnent pas d’un approfondissement des mobilisations populaires et de leur auto-organisation afin de tenter de modifier aussi les rapports de propriété dans les secteurs centraux de l’économie – domaine foncier, grande industrie, chaînes de distribution et finance –, ils sont menacés de coups d’arrêt et de retours en arrière brutaux à plus ou moins brève échéance.

C’est le capitalisme qu’il faut mettre en cause

En effet, la profonde régression sociale en cours à l’échelle planétaire, depuis la fin des années 1970, ne découle pas d’abord du tournant néolibéral de la social-démocratie ou des gouvernements progressistes du Sud issus de l’expérience des « années tiers-monde ». Elle a pour cause essentielle la nature du capitalisme mondialisé, tel qu’il a été reconfiguré depuis une quarantaine d’années. En effet, les marges de manœuvre politiques au sein de ce système paraissent de plus en plus réduites.
SYRIZA et PODEMOS montrent sans aucun doute le chemin, raison pour laquelle nous devons nous engager sans réserve dans une mobilisation européenne de grande envergure pour les soutenir contre « toutes les puissances de la vieille Europe qui se sont unies pour les traquer », selon la fameuse formule du début du Manifeste de Marx et Engels. Leur succès tient certes à la colère des populations du sud de l’Europe, touchées dans leur chair plus que d’autres sur le Vieux continent par l’accroissement des inégalités sociales et la dégradation brutale de leurs conditions de vie.

Réformes ou révolution ?

En même temps, cette colère ne s’accompagne pas encore d’une conscience politique des véritables enjeux de la confrontation en cours, raison pour laquelle l’unité et l’autonomie du mouvement social, à commencer par celles des travailleurs, assument une dimension centrale. Seule la multiplication des expériences sur le terrain des luttes est de nature à amener le plus grand nombre à comprendre la nécessité d’une rupture avec le capitalisme et l’Etat bourgeois. En effet ses prémisses se développent dans l’action par la mise en cause du droit de propriété (occupations, expropriations, contrôle populaire, etc.), mais aussi par l’expérience du pouvoir populaire. En effet, la lancinante question qui divise le mouvement ouvrier depuis au moins un siècle et demi – réformes ou révolution ? – ne peut se résoudre que pratiquement, dans la défense intransigeante des besoins et aspirations du plus grand nombre.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous devons réfléchir, en particulier avec la gauche de ces courants, au chemin qui sépare la victoire d’un gouvernement anti-austérité de la construction d’un véritable pouvoir populaire, capable de mettre en œuvre une alternative radicale au capitalisme. Certains peuples montrent aujourd’hui la voie, mais la consolidation de leur succès dépend aussi de leur capacité à se mobiliser « pour que pèse de tout son poids le nombre immense qui ne connaît pas sa propre force » (Louise Michel). Une telle percée de la lutte de classe par en bas, ne serait-ce que dans un ou deux pays seulement, aurait d’incalculables répercussions au niveau européen et mondial.

Par Jean Batou 

Lire sur le site de LCR-La Gauche (13/01/2015)