Pourquoi les petits élevages porcins bio ne connaissent ni la crise ni l’endettement
Leur semaine de travail se rapproche des 35 heures, ils produisent de la viande de qualité, et estiment percevoir des revenus suffisants. Les éleveurs de porcs de la ferme bio du Loriot, en Auvergne, ne connaissent pas la crise ni la spirale de l’endettement. Tout simplement parce qu’ils n’ont pas choisi l’élevage intensif industriel, comme la plupart des producteurs porcins. Comment s’en sortent-ils économiquement ? Reportage.

Le verrat de la ferme du Loriot a de la chance. Son éleveur n’a jamais pu castrer le jeune cochon, car un de ses testicules était resté coincé dans son abdomen. Ni l’envoyer à l’abattoir avec ses frères et sœurs puisque, avec la puberté, sa viande a perdu en qualité. Ensuite, alors qu’il risquait toujours d’être transformé en brochettes pour la consommation personnelle de son propriétaire, un jeune fermier l’a racheté : il cherchait un mâle reproducteur pour sa porcherie. Cette histoire, Nicolas Fresneau, le sauveur en question, nous la raconte en couvant du regard son petit protégé. Au pied de la colline, Pif avale tranquillement son déjeuner, entouré de cinq femelles. Il y avait une chance sur un million qu’il connaisse un tel destin. La plupart des producteurs de porcs n’auraient pas su quoi faire de lui, puisqu’ils recourent aux inséminations artificielles. « Et puis, ils ne prendraient pas le risque de faire reposer leur affaire sur un mâle avec un seul testicule ! », ironise Nicolas.

Bienvenue à la ferme du Loriot. Perdue au milieu du Cantal, cette propriété de huit hectares, toute en collines ne ressemble en rien aux autres porcheries. On y trouve la maison de Nicolas et de sa femme, Véronique, une grange pour ranger le tracteur, et une annexe pour les outils. Et puis des champs, à perte de vue. Pas de grands bâtiments avec des sols en caillebotis, comme dans 96 % des élevages français. Au départ, le couple achète seulement 5 truies, alors que les naisseurs-engraisseurs, ces éleveurs qui s’occupent des porcelets de la naissance à l’abattage, en possèdent en moyenne 215. Un pari risqué, car, il y a encore six ans, les Fresneau ne connaissent rien à l’agriculture. Nicolas travaillait auparavant dans l’horlogerie suisse, Véronique, dans l’humanitaire. Ils ont juste suivi une formation de responsable d’exploitation agricole de neuf mois. Mais le cours qui se rapprochait le plus de leur future activité traitait de l’élevage bovin.
Des revenus suffisants et des horaires décents

« Même si on n’avait pas d’expérience, on n’avait pas envie de prendre exemple sur les autres éleveurs, ni d’écouter les conseils des techniciens de la chambre d’agriculture, qui nous encourageaient à prendre plus de bêtes », raconte Nicolas. Bilan, cinq ans après l’installation : des revenus modestes mais suffisants, des horaires décents, et un travail qui leur plaît. Alors que beaucoup d’éleveurs porcins suent à grosses gouttes pour joindre les deux bouts. Par quel miracle ? « L’équation économique n’est pas du tout la même que pour un gros élevage en bâtiments », analyse Véronique.

Il suffit de regarder travailler les jeunes éleveurs pour le comprendre. À l’heure du petit déjeuner, comme dans tous les élevages de cochons du monde, les couinements des bêtes s’entendent à plusieurs kilomètres à la ronde. Tandis que, ailleurs, les producteurs n’ont qu’à appuyer sur un bouton pour distribuer la nourriture, Nicolas et Véronique remplissent les mangeoires une par une, à la main. Puis l’ex-horloger descend une côte d’une centaine de mètres pour libérer le groupe des « expats », âgés de dix mois, puis celui des « chanchos » (c’est ainsi qu’on appelle un cochon au Mexique), qui ont sept mois. Suivent les « berlinois », des porcelets de quatre mois.

Quand Nicolas ouvre une barrière, le sol se met à trembler. Têtes levées et oreilles plaquées sur le crâne, les animaux grimpent la côte au galop. Ce rituel matinal dure une bonne heure. « C’est du temps bien employé, pendant lequel on a un vrai contact avec nos animaux, analyse Véronique. C’est nécessaire quand on veut faire de la viande de qualité. Les cochons courent et sont plus épanouis, car ils ont besoin de dormir, de manger, et de faire leurs besoins dans des endroits séparés. »
Ne pas faire grossir trop vite les animaux

La qualité ne se paie pas forcément beaucoup plus cher. Véronique et Nicolas cultivent 2,5 hectares d’un mélange céréalier à la ferme, le complètent avec d’autres céréales, achetées chez un agriculteur bio du coin, un cocktail d’huile de poisson, de magnésium et d’ortie, et préparent le tout dans un grand moulin à farine qu’ils ont installé dans l’annexe. Par conséquent, ils déboursent seulement trois cents euros pour une tonne de cette nourriture bio de très bonne qualité. À peine 25 % de plus que pour un aliment industriel conventionnel. Ils ont aussi choisi d’élever leurs bêtes pendant onze ou douze mois, alors que la plupart des autres éleveurs s’en séparent aux alentours de six mois. Mais, au final, la quantité de nourriture distribuée se vaut, car les Fresneau font attention à ne pas faire grossir trop vite leurs animaux et distribuent des portions plus petites.

Les véritables économies se font ailleurs. « Regardez la propriété. Nous avons fait un minimum de travaux, explique Nicolas. Nous avons juste surélevé le toit de la grange. Sinon, c’est moi qui a tout bricolé à la main. » La ferme est un patchwork de grands enclos délimités par des barrières en bois. Au milieu de certaines parcelles, des cabanes basses mais assez grandes pour qu’une quinzaine de cochons puissent s’y serrer en cas de grand froid. Avec si peu de matériel, l’investissement de départ – 240 000 euros avec la maison – et les intérêts à rembourser à la banque sont raisonnables.

Les éleveurs n’ont pas non plus acheté la machinerie que l’on trouve dans les autres fermes : pas de système de distribution des aliments ni d’échographe. Les gros producteurs vérifient systématiquement que les inséminations artificielles ont bien fonctionné. S’ils ne le font pas, l’organisation de l’exploitation s’en trouve bouleversée. Les truies chargées de la reproduction sont en effet regroupées par « lots », et si l’une d’elle n’est pas pleine, elle retarde toutes les autres.

Par Tiffany Blandin
Lire la suite sur le site de bastamag.net (4/11/2015)