France : ce qu’un gouvernement populaire devrait faire avec les banques


Je vais m’attacher à développer trois questions :

    Que faire durant la période précédant l’arrivée au pouvoir du gouvernement populaire ?

    Quelles mesures immédiates essentielles adopter lors de l’arrivée au pouvoir ?

    Comment réagir ensuite dans l’ancien cadre légal aux actions de déstabilisation ?


1/ Que faire durant la période précédant l’arrivée au pouvoir du gouvernement populaire ?

Dans la période précédant son arrivée aux affaires, un gouvernement populaire aura dû se livrer à une importante campagne préparatoire afin de présenter, expliquer et légitimer les mesures qu’il s’engage à adopter et à mettre en œuvre. Cette campagne doit impliquer la population à travers des actions. Dans la mesure où la nouvelle politique rompt radicalement avec celles des gouvernements précédents, il est impératif de préparer la population et par ce travail de formation participer à la reconstruction de la subjectivité et de la conscience de classe de celles et ceux qui sont à ce jour des dominés. Un tel travail de formation est particulièrement nécessaire sur le sujet des banques. Celles-ci sont perçues comme toutes-puissantes et capables de mettre à bas des économies lors de crises. Par ailleurs, les questions bancaires et financières sont mal connues du grand public. D’où la tentation de ne pas s’intéresser au sujet. Le travail préparatoire doit être mené sur deux plans :

    Expliquer le fonctionnement actuel des banques, leur responsabilité dans les récentes crises et le coût que cela a représenté pour la société. Ce travail explicatif pourrait être appuyé par des campagnes de communication et des actions en justice mettant en cause les banques. Aujourd’hui, on peut citer les initiatives d’ATTAC et de BIZI avec les « vols » de chaises pour dénoncer l’évasion fiscale. Ces « vols » donnent lieu à des procès qui permettent de médiatiser le combat. On peut mentionner également les actions en justice menées par des collectifs d’audit citoyen contre les emprunts toxiques. Actuellement, 4 actions sont engagées en France, dont 3 (à Nîmes, Grenoble et Vichy) pour attaquer des délibérations de collectivités locales qui valident des dispositifs de sortie d’emprunts toxiques imposant aux collectivités de payer aux banques des indemnités d’un montant considérable (par exemple la communauté d’agglomération de Nîmes Métropole a accepté de rembourser un emprunt toxique en payant, en plus du capital restant dû de 10 millions d’euros, une indemnité de 58,6 millions d’euros).

    Présenter et expliquer notre projet bancaire alternatif en rappelant que d’autres projets ne s’inscrivant pas dans les pratiques actuelles ont été mis en œuvre dans le passé (à la Libération en 1946 et en 1982, voir Pourquoi la socialisation du secteur bancaire est-elle préférable au système bancaire privé actuel ?). Cette présentation doit mettre évidence le lien du projet bancaire alternatif avec les grands principes qui doivent régir notre vie en société : le bien public, l’intérêt général, le service public, l’utilité sociale, les droits de l’homme, la probité, la transparence, la solidarité, la réglementation stricte des activités bancaires, le respect de l’environnement, etc., autant de principes à l’opposé des dogmes motivant les agissements du système bancaire actuellement. Cela doit être l’occasion de s’adresser aux salarié-e-s de la banque et leurs syndicats en insistant sur des aspects essentiels du projet alternatif : la fin du benchmarking |2|, le rétablissement des instances représentatives du personnel supprimées par Macron |3|, le parti-pris du service à la clientèle et la fin de la concurrence entre les établissements, le maintien des réseaux d’agence et un strict contrôle de la digitalisation.


2/ Quelles mesures immédiates essentielles adopter ?

Dès la mise en place du nouveau pouvoir, les institutions européennes, la BCE en particulier, ne manqueront pas de réagir pour empêcher la mise en œuvre de la politique du nouveau gouvernement et remettre en cause sa légitimité, comme nous avons pu le vérifier avec l’exemple de la Grèce en 2015.

Afin de prévenir et de contrecarrer ces attaques, trois mesures essentielles préalablement préparées par le nouveau gouvernement avant son arrivée au pouvoir et applicables immédiatement, doivent être prises dans les plus brefs délais :

    La suspension du paiement de la dette publique dans l’attente des conclusions d’un audit associant les représentants de la société civile à ceux du nouveau pouvoir. Cela donnerait un moyen de pression conséquent au nouveau pouvoir.

    La mise en place d’audit de la dette des grandes instances et structures publiques (État, collectivités territoriales, hôpitaux publics, organismes de logement social, etc.) et des autres instances et structures chargées à quelque titre que ce soit d’une mission d’intérêt général ou assurant des missions de service public (Unedic, gestion de l’eau, etc.). Du fait de l’urgence et des moyens disponibles, l’audit pourrait concerner dans un premier temps les structures les plus importantes. Pour renforcer sa légitimité, l’audit serait mené par des spécialistes de la question et associerait des représentants de la société civile à côté des nouveaux élus et autres responsables nouvellement nommés.

    Le vote de nouvelles dispositions constitutionnelles d’application immédiate. Ces nouvelles dispositions auraient pour vocation de donner une légalité aux décisions du nouveau pouvoir et éviter que de grandes institutions, ayant encore à leur tête des responsables toujours acquis au camp du capital, ne pratiquent un sabotage au prétexte que les nouvelles mesures ne respecteraient pas la Constitution. Faute de cette mise à jour de la Constitution, le Conseil constitutionnel pourrait venir censurer de nouvelles lois et de leur côté les juridictions civiles et administratives pourraient donner raison à des demandeurs les saisissant pour contester la mise en œuvre des nouvelles lois.

D’autres mesures d’application immédiate devront être préparées et présentées dès le nouveau pouvoir en place. Par exemple, la réforme du taux d’usure |4| pour imposer aux banques que ce taux s’applique non à la seule première échéance d’un contrat d’emprunt mais à toutes les échéances. Cette mesure concernerait à la fois les dettes publiques et les dettes privées.

3/ Comment réagir dans l’ancien cadre légal aux actions de déstabilisation ?

Dans l’éventualité d’une fermeture par la BCE du robinet des liquidités, le nouveau pouvoir pourrait mettre les banques sous tutelle sans attendre leur socialisation à venir. Contrôlant ces banques, il pourrait décider de mettre en place un moratoire pour certains engagements de celles-ci, voire de refuser purement et simplement de les honorer (par exemple les engagements des banques à l’égard de la BCE). Les quatre grands groupes bancaires français (BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole, BPCE) étant des banques systémiques liées aux autres grandes banques, leur prise de contrôle serait de nature à peser dans le rapport de force entre le nouveau pouvoir et les institutions européennes et les autres représentants du camp du capital.

Dès le début de son mandat, un gouvernement populaire pourrait utiliser des mesures que les gouvernements de droite ou socio-démocrates ont coutume d’appliquer lorsqu’ils arrivent aux affaires. En voici trois exemples :

    À côté des trois mesures essentielles de mise en œuvre immédiate, si le nouveau pouvoir se trouve confronté à une attitude déloyale d’obstruction et de sabotage de sa politique de la part de responsables à la tête d’institutions, il pourrait décider de les révoquer et de pourvoir à leur remplacement sur le champ dans la mesure où la réglementation en vigueur l’y autorise.

    Pour mettre en œuvre rapidement ses principales mesures, le nouveau gouvernement populaire pourrait procéder par voie d’ordonnance, à l’instar de ce que vient de faire en France le gouvernement d’Emmanuel Macron avec la loi travail.

    De même, pour remettre en cause certaines situations qui font obstacle à la mise en œuvre de sa politique, le nouveau pouvoir pourrait faire voter par le Parlement des lois de validation rétroactive, dans la mesure naturellement où ces lois sont motivées par l’intérêt général. Le gouvernement en place en France sous la présidence de François Hollande l’a fait en juillet 2014 pour rendre légaux des contrats d’emprunts toxiques que les banques avaient fait souscrire aux acteurs publics locaux et qui étaient jusqu’alors considérés illégaux par les tribunaux. Cette mesure avait pour but d’éviter aux banques de perdre en justice lorsque les acteurs publics les attaquaient et surtout de leur éviter de supporter les surcoûts liés aux emprunts spéculatifs et laisser ces surcoûts à la charge des emprunteurs.

Voilà en bref quelques propositions sur les actions à mener avant l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de gauche radicale, dès sa mise en place, et en cas d’attaque ensuite par les forces du capital.

Par Patrick Saurin (19/02/2018)
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