Commission Panama Papers : la montagne accouche d'une souris. Les 4 propositions alternatives du PTB

La commission spéciale Panama Papers de la Chambre a voté ce 24 octobre, majorité contre opposition, un rapport en dessous de tout, fruit d'un sabotage et d’un court-circuitage démocratique. Les enjeux de lutte contre la grande fraude fiscale internationale étaient énormes pour cette commission réunie pendant un an et demi. Mais la montagne a accouché d'une souris dont les partis de droite ont coupé les pattes et limé des dents.

Le scandale des Panama Papers éclate en avril 2016. La masse des révélations – 11,5 millions de documents confidentiels sur 214 000 sociétés offshore – dépasse de loin les données déjà considérables des précédents OffshoreLeaks, LuxLeaks et autres SwissLeaks. En Belgique, la Chambre des représentants met sur pied une commission spéciale afin d'analyser et d'armer notre pays contre cette grande fraude fiscale internationale qui recourt à grande échelle aux paradis fiscaux.

Il faut dire, la Belgique est une championne de cette fraude internationale. D'après l'économiste Gabriel Zucman (UC Berkeley), les capitaux belges placés rien qu'en Suisse atteignent 60 milliards d'euros. À titre de comparaison, les capitaux français sont de 180 milliards, trois fois plus mais pour une population six fois plus importante.
Sabotage et coup d’État de la majorité parlementaire

La commission Panama Papers de la Chambre a rejeté l'optique du PTB de hiérarchiser les recommandations en vue de mettre en exergue un nombre réduit d'axes d'actions prioritaires : elle a préféré produire une sorte de catalogue La Redoute de recommandations, comme l'avait déjà fait la commission de 2009 sur la grande fraude fiscale.

Les travaux de la commission Panama Papers ont duré un an et demi. Les auditions elles-mêmes se sont déroulées de mai 2016 à janvier 2017. Durant celles-ci, les commissaires de la majorité de droite ont exprimé un manque évident d'intérêt, quand ils ne dénigraient pas ouvertement certains journalistes, enquêteurs ou magistrats auditionnés.

La majorité a jeté le texte des experts et imposé, comme base de discussions et d'amendements, le texte élaboré durant ses travaux occultes

Début mars 2017, à l'issue d'un travail de qualité, les experts avaient produit un rapport comprenant nombre de constats et recommandations. Des recommandations utiles pour fermer une série de petites portes par rapport à des manques dans la législation et l'organisation de la lutte anti-fraude. Toutefois, elles ne fermaient pas les plus grandes portes et montraient une ambition insuffisante pour lutter avec force contre les paradis fiscaux et la grande fraude internationale.

Pourtant, ces propositions allaient encore bien trop loin pour les commissaires de la majorité. Ceux-ci, menés par Rob Van de Velde (N-VA) et Luc Van Biesen (Open VLD), ont d'abord enlisé les travaux de la commission. Celle-ci devait entamer début mars 2017 l'examen du texte martyr rédigé par les experts. Logiquement, la commission pouvait rendre son rapport final pour la fin mars. Pourtant, il a fallu encore sept mois, faits de blocages et de reports de réunion, pour arriver ce 24 octobre à l'adoption, majorité contre opposition (avec l'abstention d'Ecolo et du cdH), d'un texte en dessous de tout.

Car, durant ces longs mois de non-fonctionnement, la majorité de droite a privatisé la commission pour perpétrer un véritable coup d’État. Le parlement a été mis sur la touche et les débats sur le rapport ont été poursuivis de manière occulte par les partis de la majorité. Par qui exactement ? Avec les conseils de qui ? Avec le soutien du cabinet du ministre des Finances ? Avec le concours de certains milieux d'affaires (comme le secteur diamantaire, qui s'est invité dans les recommandations) ? Impossible à dire, vu le court-circuitage démocratique.

À l'issue de ce détournement, la majorité a commis son coup d'État au sein de la commission : elle a jeté le texte des experts et imposé comme base de discussions et d'amendements, le texte élaboré durant ses travaux occultes. Bien sûr, toute disposition un peu ambitieuse contre la grande fraude internationale a disparu du nouveau texte. L'orientation est claire : la lutte contre la fraude s'arrête à la porte des intérêts des entreprises et des investisseurs. Sur base d'un tel postulat, difficile de produire autre chose qu'un pétard volontairement mouillé. Toutes les recommandations un tant soit peu volontaristes – notamment sur le secret bancaire, les moyens humains du fisc, la définition de la fraude fiscale grave, les paiements en cash, les lanceurs d'alertes ou les dispositions anti-paradis fiscaux – ont été soit formulées en termes inopérants, soit purement jetées à la poubelle.

Par contre, on trouve dans ce texte une recommandation qui n'a rien à voir avec la lutte contre la fraude mais répond à une demande du secteur diamantaire, qui pratique la fraude fiscale et le blanchiment à grande échelle (60% des dossiers SwissLeaks belges concernent les diamantaires). Le secteur se plaint de la frilosité des banques – en raison justement, de cette réputation sulfureuse – à accepter les sociétés diamantaires comme clientes. La majorité de droite, N-VA en tête, a donc rédigé une résolution pour inciter les banques à les accepter comme client.
Johan Van Overtveldt, ministre des fraudeurs

On ne peut appréhender le sabotage de la commission Panama Papers par la majorité sans faire le lien avec la politique menée, en matière de fraude fiscale, par le gouvernement fédéral et particulièrement le ministre N-VA des Finances, Johan Van Overtveldt.

Cet admirateur de Milton Friedmann (père du néo-libéralisme) est l'un des rares ministre des Finances qui, au sein de l'Union européenne, défend ouvertement un accroissement de la concurrence fiscale entre les États, alors que le courant actuel est, au moins officiellement, de plaider à l'inverse pour une harmonisation de la fiscalité des entreprises. Van Overtveldt s'en tient au dogme de la vieille théorie du ruissellement, selon laquelle l'enrichissement de la classe la plus aisée et les cadeaux aux multinationales vont doper l'économie et ses supposés bienfaits ruisseler sur l'ensemble de la population. Dans ce cadre, toute mesure un peu sérieuse contre la grande fraude fiscale se heurte à la liberté sans entrave offerte aux milieux d'affaires.

Le ministre a ainsi systématiquement saboté les tentatives d'un groupe d'États européens d'arriver à un accord sur la taxe Tobin, qui déplaît tant au monde bancaire. Et la Belgique est, avec les Pays-Bas, l'État européen offrant le plus de niches fiscales aux multinationales.

Johan Van Overtveldt exclut tout accroissement de moyens dans la lutte contre la grande fraude

Certes, quand il a hérité de sa collègue Elke Sleurs de la compétence de la lutte contre la fraude fiscale, Van Overtveldt avait promis l'une ou l'autre mesures qui sortaient des balises habituelles des partis de droite. On pense surtout au projet de couler en loi la jurisprudence Antigone (qui permet, dans certaines conditions, d'utiliser des preuves illégales afin d'éviter que des affaires comme le dossier KB-Lux n'échouent au tribunal) ou d'accorder à certains agents du fisc des pouvoirs d'officier de police judiciaire. Mais ces promesses, restées sagement dans les tiroirs, viennent d'être enterrées par la majorité, N-VA en tête, au sein de la commission Panama Papers.

Par contre, le ministre n'a pas tardé à faire voter la taxe carat, une imposition sur-mesure des diamantaires conçue selon les propres revendications du secteur. Ou d'inventer la première amnistie fiscale permanente. Ou de contester la condamnation européenne des Excess Profit Rulings. Ou de réduire drastiquement le taux d'imposition des commissions secrètes.

De son côté, le ministre de l'Intérieur Jan Jambon, également N-VA, a torpillé l'OCDEFO, efficace service policier spécialisé dans la lutte contre la criminalité financière. Quant au ministre de la Justice Koen Geens (CD&V), il remet en service la transaction pénale élargie, qui permet aux grandes fortunes coupables de malversations financières d'échapper à un procès. Et sans surprise, au sein de la commission Panama Papers, la majorité a rejeté toute tentative d'exclure la fraude fiscale grave des possibilités de transaction pénale.

Johan Van Overtveldt exclut tout accroissement de moyens dans la lutte contre la grande fraude. Il refuse explicitement une cellule fiscale contrôlant le 0,01 % le plus riche, comme le recommande l'OCDE (encore une recommandation rejetée au sein de la commission Panama Papers). Il refuse de renforcer, au sein du fisc, la cellule paradis fiscaux et la cellule prix de transfert (manipulation des prix entre filiales d'une multinationale, l'une des principales techniques d'évasion fiscale). Il affiche ouvertement son intention de poursuivre la réduction des effectifs du SPF Finances et sa promesse d'augmenter le personnel de l'Inspection spéciale des impôts (par transferts internes au sein du SPF Finances) n'a pas abouti. Le seul département ayant droit à un renfort, c'est le service des décisions anticipées, qui gère les amnisties fiscales et les rulings avalisant les montages fiscaux des multinationales.

Pour tenter de défendre sa politique contre la fraude fiscale, le ministre des Finances se retranche derrière la taxe Caïman, qui impose certaines constructions juridiques utilisant les paradis fiscaux. Mais, bien sûr, sans traquer les fraudeurs, sans lever le secret bancaire, sans combattre les paradis fiscaux, cette taxe Caïman ne peut pas rapporter grand-chose. C'est pourquoi Van Overtveldt a imaginé que la déclaration fiscale, dont le nombre de rubriques explose pourtant chaque année, ne propose pas un code distinct pour la Taxe Caïman. Impossible, dès lors, de connaître son rendement. L'avantage est double : il peut mettre n'importe quel montant lors des débats budgétaires et, surtout, il est impossible de connaître le naufrage véritable de cette taxe dont il a fait un emblème. Sans surprise, au sein de la commission Panama Papers, la majorité a refusé la recommandation visant à insérer un code distinct pour la taxe Caïman...

Les axes prioritaires du PTB

1. Organiser la transparence en commençant par la Belgique

Le secret bancaire, l'un des freins importants à la lutte contre la grande fraude fiscale, existe toujours en Belgique, même s'il existe une procédure – compliquée – pour le lever. Pour véritablement combattre la grande fraude, le PTB estime qu'il faut lever totalement le secret bancaire et obliger les banques à fournir automatiquement au fisc les données, y compris le solde de fin d'année, de tous les comptes bancaires, comptes titres (oui, Monsieur Michel, également pour votre taxe comptes-titres bidons dont les modalités organisent déjà sa future fraude), etc.

Il s'agit aussi de créer, au sein de l'administration fiscale, un cadastre reprenant à la fois les patrimoines mobiliers et immobiliers des personnes physiques. Il est discriminatoire d'avoir un cadastre des patrimoines immobiliers (typiquement le patrimoine des citoyens non fortunés) et de ne pas disposer d'un cadastre des patrimoines mobiliers.

2. Viser les places fortes de la grande fraude internationale

Ces places fortes, ce sont à la fois les ultra-riches (les 0,01 % patrimoines les plus importants) et les établissements bancaires. Si l'on applique les chiffres de Gabriel Zucman à la Belgique, on peut avancer qu'un ménage du 0,01 % le plus riche élude en moyenne 5,3 millions d’euros par an. https://ptb.be/articles/les-400-familles-les-plus-riches-eludent-pour-21-milliards-eu-d-impot-par Soit 26 000 fois plus qu'un ménage appartenant aux 50 % les moins riches, qui élude en moyenne 201 euros par an. Pour le PTB, il est donc indispensable de créer une cellule fiscale ciblant le 0,01 % le plus riche, comme le recommande l'OCDE et le pratiquent plusieurs pays.

Pour le PTB, il est indispensable de créer une cellule fiscale ciblant le 0,01 % le plus riche

Concernant les banques, il importe d'assurer la présence de contrôleurs à résidence au sein des institutions bancaires. Ceux-ci, ayant un libre accès à toutes les données et réunions, seraient chargés de débusquer tout manquement de ces institutions tant en matière de criminalité financière qu'à l'égard des législations spécifiques au secteur bancaire. L'histoire bancaire, belge et internationale, montre que l'auto-contrôle est largement insuffisant pour empêcher les dérives d'institutions mues par la recherche du profit. Un contrôle étroit est donc nécessaire.

Comme envisagé par un magistrat auditionné par la commission Panama Papers, il est également possible, juridiquement parlant, de pratiquer du « mystery shopping » (de faux clients) auprès des établissements bancaires belges afin de contrôler s'il favorisent l'évasion fiscale, par exemple en renvoyant leurs clients vers des filiales de leur groupe situées dans des paradis fiscaux.

Il faudrait par ailleurs étendre les sanctions pénales prévues par le code des impôts en prévoyant la fermeture définitive ou l'expropriation des établissements des banques et conseillers fiscaux coupables de fraude fiscale grave et de blanchiment d'argent.

3. Déclarer la guerre aux grands fraudeurs et aux paradis fiscaux

Il faudrait cesser d'encourager la fraude en permettant aux criminels en col blanc d'échapper aux tribunaux grâce aux amnisties fiscales et aux transactions pénales

Si l'on veut réellement contrer le rôle néfaste des places off-shore, il faut adopter des mesures réellement dissuasives. Gabriel Zucman va jusqu'à évoquer l'exclusion du Luxembourg de l'Union européenne et l'adoption de sanctions économiques contre la Suisse. De même, il s'agirait d'interdire les transactions des sociétés belges avec les paradis fiscaux avérés, à la fois pour empêcher la fraude, mais également comme politique de sanction contre ces pays.

On ne peut, en la matière, se contenter de demi-mesures car les paradis fiscaux pratiquent un piraterie financière dont les conséquences économiques et sociales sont dommageables à l'ensemble des populations de la planète.

Par ailleurs, il faudrait cesser d'encourager la fraude en permettant aux criminels en col blanc d'échapper aux tribunaux grâce aux amnisties fiscales et aux transactions pénales.

4. Accorder des moyens suffisants à ceux qui combattent la fraude

La question des moyens, en particulier des effectifs, est incontournable : inutile d'adopter des dispositions législatives s'il n'y a personne pour les mettre en œuvre. Il s'agit d'enrayer le dépeuplement du SPF Finances et de prendre la voie inverse, d'autant que les engagements de contrôleurs fiscaux peuvent générer plus de recettes que le coûts budgétaires qu'ils représentent.

L'augmentation de personnel devrait viser les services spécifiques (Inspection spéciale des impôts, cellule paradis fiscaux, cellule prix de transfert…) mais également le SPF Finances en général ainsi que la justice, dont les effectifs chargés de lutter contre la criminalité financière sont encore dramatiquement plus bas qu'au sein de l'administration fiscale.

Par Marco Van Hees (27/10/2017)
A lire sur le site ptb.be