Articuler urbanisme et transport collectif : ils l’ont fait!
Il y a peu, nous vous parlions du cercle vertueux à engendrer pour assurer un avenir aux lignes ferroviaires de desserte locale. Parmi les pistes évoquées figurait en bonne place l’augmentation de la fréquentation de ces lignes, par un aménagement du territoire favorable à l’utilisation du train. Un vœu pieux ? Une énième logorrhée d’expert déconnecté du terrain ? Pas si sûr ! Car il existe aujourd’hui des outils opérationnels pour mettre ces bonnes idées en pratique. Rencontre avec les contrats d’axe !

Une finalité et des constats partagés


A peu près au même moment, au cours des années 2000, Grenoble, Lille, Genève, Toulouse et l’Ile de France inventent des dispositifs concrets qui permettent d’articuler urbanisme et transport dans leurs agglomérations. Depuis lors, d’autres localités, villes moyennes et territoires périurbains, leur emboîtent le pas. Ces communes partagent une finalité commune : orienter leur développement vers une ville compacte et maîtriser l’étalement urbain.

Cette ambition, sur laquelle furent écrites tant de pages ces dernières décennies, s’accompagne de deux constats, eux aussi partagés. Premièrement : organiser l’urbanisation autour d’un axe de transport peut avoir des effets leviers sur le développement des territoires. Deuxièmement, développer des transports publics peut se faire à un coût d’autant moins important pour une autorité publique qu’ils desservent des quartiers denses et « altermobiles », c’est-à-dire favorables aux mobilités douces.

Le problème pratique se pose au niveau de l’opérationnalisation concrète de cette finalité commune. Comment, pratiquement, travailler ensemble urbanisme et transport, alors que ces deux domaines dépendent d’acteurs différents (diverses autorités publiques et plusieurs opérateurs de transport), aux logiques, ressources et calendriers souvent désaccordés ?

Le contrat d’axe, une réponse pragmatique et opérationnelle

On ne compte plus aujourd’hui les documents de planification urbaine qui annoncent vouloir densifier les abords de gare, rabattre les lignes de bus pour nourrir les flux ferroviaires ou améliorer la qualité des liaisons cyclo-piétonnes. On ne compte plus non plus les réticences budgétaires à maintenir une desserte de transport public lorsque les chiffres de fréquentation flirtent avec l’acceptable. On ne compte plus, enfin, les déplorables « Ceci ne ressort pas de mes compétences » qui coupent court à toute ambition un tant soit peu intégrée en matière d’action publique. Mais concrètement, quand passe-t-on du constat à l’action ? Quand passe-t-on du renvoi de balle entre acteurs au dialogue structuré et à la mise en pratique réaliste, confrontée au terrain ?

Le contrat d’axe et ses homologues, dénommés, selon les lieux, « charte », « DIVAT » (disque de valorisation des axes de transport) ou « PACA » (périmètre d’aménagement coordonné d’agglomération), partagent ce souci du terrain, de la mise en pratique.
Ces initiatives consistent à la fois en un accord entre différents acteurs publics du développement urbain (maîtres d’ouvrage d’infrastructures de transport, acteurs de l’aménagement urbain, opérateurs de transport, etc.) et en une démarche de production collective d’un projet de transport public structurant en cohérence avec des projets d’urbanisme.

Apparu à l’occasion de la révision du Plan de Déplacements Urbains (PDU) de Toulouse en 2002, le concept de contrat d’axe permet d’assurer une mise en cohérence opérationnelle, plutôt que théorique, sur un territoire localisé précisément.

Son originalité est aussi de ne pas être un nouveau champ d’action publique, une nouvelle couche de lasagne institutionnelle. Le dispositif, bien que permettant une action supracommunale, ne se superpose pas à d’autres types de gouvernance. Il innove sur le plan des méthodes, pas des acteurs. Il travaille à l’échelle d’un territoire de projet, et non à celle d’un territoire délimité par les responsabilités institutionnelles.

Ces trois caractéristiques majeures – orienté vers l’action opérationnelle, économe sur le plan institutionnel, et centré sur un territoire précis, aux caractéristiques propres – font de cet outil un dispositif efficace, capable d’initier une dynamique réellement vertueuse.

Quelle utilisation potentielle et quel fonctionnement concret ?

On dénombre grosso modo trois types de contrats d’axe (ou autres outils de contractualisation), distincts dans leur façon d’articuler transport et urbanisme :
- Un « rattrapage – accompagnement » de l’urbanisation (comme à Nantes ou en Pays de Loire), où l’offre de transport vient accompagner un développement urbain jusqu’ici trop peu dense, par exemple par une réouverture de ligne ferroviaire.
- Une optimisation de l’existant (Rennes, Bordeaux), où l’offre de transport, déjà présente, est améliorée et le territoire densifié et requalifié, ouvrant éventuellement la porte à des extensions d’infrastructure (métro, tramway, par exemple).
- Une structuration anticipatrice (Toulouse), où une politique dite d’intensification urbaine est menée le long des axes de transport en développement.

En Belgique notamment, le principe du contrat d’axe pourrait donc être utilisé pour revaloriser des lignes de desserte locale, pour dynamiser des quartiers de gare ou pour soutenir le développement de nouvelles infrastructures de transport, comme le projet de tram à Liège par exemple.

Comment fonctionne, concrètement, le processus de contrat d’axe ? Difficile, bien sûr, d’en donner une représentation unifiée tant le processus, par définition, s’adapte au contexte local. Le CERTU a d’ailleurs présenté chaque expérience dans une intéressante synthèse accessible en ligneQ. Mais certains principes d’action peuvent toutefois être repris ici.

Parmi les préalables identifiés plus haut, un temps de maturation doit être accordé au partage d’une même finalité et des constats d’une nécessaire opérationnalisation de celle-ci. La rédaction d’une charte (Grenoble, Ile de France, Genève), ou d’un SCoT (Schéma de COhérence Territoriale, qui fixe les grandes orientations en matière d’aménagement du territoire), comme à Toulouse, peut remplir ce rôle. Le contrat d’axe est alors vu comme l’outil opérationnel de cette charte.

Autre préalable, la nécessité de circonscrire précisément le territoire envisagé, l’échelle, le périmètre de l’action publique : un rayon de 500m autour des stations de transport public lourd (les DIVAT de Lille), un « corridor tramway », une bande de 500 m de part et d’autre de l’axe de transport (Toulouse), un « fuseau d’intensification urbaine » (Grenoble), etc. A l’intérieur de ce périmètre, un diagnostic est posé sur le foncier dit « mutable » afin de mesurer le potentiel de densification au sein de ce corridor, première étape indispensable à la cartographie des actions urbaines envisageables.

Lors de cette première phase d’anticipation et de diagnostic, c’est un intense travail de négociation qui s’engage, une véritable « ingénierie de la relation ». Car les acteurs engagés dans le processus sont nombreux, et leurs domaines de compétences variés. Actuellement, et c’est là sans doute l’une des limites de la démarche du contrat d’axe, les acteurs privés ne figurent pas au rang des signataires. Ils participent pourtant fortement à la production de la ville. Des dispositifs spécifiques sont donc parfois envisagés en complément pour les associer, notamment le contrat dit FISAC (Fonds d’intervention pour les Services, l’Artisanat et le Commerce) à Grenoble, conçu pour aider artisans et commerçants à moderniser, rénover et acquérir du matériel le long des axes prioritaires.

Sur quoi portent les engagements échangés ? Schématiquement, on peut résumer l’échange comme suit : l’autorité organisatrice de transport s’engage à mettre en service une offre de transport nouvelle ou à étendre celle-ci (mode, fréquence, amplitude horaire), mais aussi à prévoir des niveaux de qualité élevés sur le plan de la lisibilité, de la qualité des aménagements, des abords de gares, etc. Les communes desservies, quant à elles, s’engagent à densifier et valoriser les abords des stations.

Ce travail d’ « intensification urbaine »  le long d’un axe de transport à l’offre attractive peut donc toucher des domaines divers : aménagement des quartiers de gare, création de logements, amélioration de l’intermodalité et des conditions d’accès aux gares pour les cyclistes et les piétons, mixité sociale et intergénérationnelle, requalification des espaces publics, réorganisation du trafic automobile en faveur de la réduction des nuisances, gestion du stationnement, etc.

Précision importante : en complément des divers projets développés sur le territoire, un dispositif de veille foncière est instauré dès le début du processus et s’étend au-delà de la durée du contrat d’axe (fixée par exemple à cinq ans). « Ce dispositif contient deux périmètres : un périmètre d’études (au sein duquel on étudie chaque demande de permis de construire) et un périmètre de vigilance (dans lequel les communes se doivent d’alerter le SMTC (ndlr : syndicat mixte des transports en commun) sur les transactions foncières afin de saisir les opportunités et de s’assurer du respect de la Charte Urbanisme Transport) ». Le contrat d’axe permet ainsi de travailler à divers horizons temporels, sans attendre du contexte local qu’il ne se fige pour autant. Un suivi des engagements au-delà de la création (éventuelle) de la nouvelle infrastructure, notamment par un dispositif d’observation et d’évaluation basé sur une série d’indicateurs, rappelle que la mutation urbaine est un processus relevant du temps long.

Les engagements portent donc sur la production de réalisations concrètes, mais aussi sur un calendrier (phasage) et, parfois, un financement spécifique. Ce financement, non systématique, peut, selon les cas, se limiter à une participation aux frais relatifs aux études urbaines, concerner des projets sortant du cadre direct mais structurants, ou encore expérimentaux (reproductibles sur différents points de l’axe), ou bien sûr concerner les travaux proprement dits.

Le contrat d’axe permet à la fois de spatialiser, par de nombreuses cartes, les projets urbains, et de détailler, pour chaque volet du projet, les objectifs de la programmation, le maître d’ouvrage, le calendrier de réalisation, le financement, le partenariat, etc.

Par Céline Tellier 

A lire sur le site de la Fédération Inter-environnement Wallonie  (15/01/2015)