Un an après son lancement, « Territoires zéro chômeur » a permis l’embauche de 600 personnes
L’association ATD Quart-Monde a lancé début 2017 l’initiative « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Celle-ci veut inverser la logique d’exclusion des demandeurs d’emplois en partant de leurs compétences pour créer des activités qui leur correspondent. Après avoir suivi le lancement du projet au printemps 2017, Bastamag revient sur le territoire de Colombelles près de Caen, où 48 personnes ont été embauchées. Malgré des tensions liées à la croissance exponentielle de la structure, plusieurs bénéficiaires racontent comment l’initiative a sensiblement amélioré leurs conditions de vie. Reportage alors qu’Emmanuel Macron a annoncé le 13 septembre dernier sa volonté d’étendre l’expérimentation.

Les rayons du soleil pénètrent dans le petit bureau sobre de la cellule emploi de la ville de Colombelles, dans la banlieue de Caen. En cette journée de printemps, Ouardia a un bonnet sur la tête et un manteau remonté jusqu’au col. Sa maison occupée par sa famille en Algérie, des problèmes avec ses enfants, la maladie de son mari, des crédits à la consommation qui s’accumulent : Ouardia raconte une petite partie de sa vie. « Ma fille a longtemps dit que nous étions des faux riches, à cause de tous nos crédits », dit-elle en souriant. En face d’elle, Lynda Aouicha l’écoute et la conseille sur ses démarches administratives : « Je fais les comptes, je lui garde ses papiers, je contacte la société de crédit pour régler les impayés. Je l’ai aidée à mettre en place des virements automatiques pour que, lorsqu’elle repart au pays, les virements soient toujours effectués. » Et qu’ainsi les pénalités ne s’accumulent pas.

Ouardia fait partie de la centaine de personnes que Lynda aide pour des démarches auprès de Pôle emploi, de la Caf, de la sécurité sociale, pour un titre de séjour ou encore une demande de logement social. Après son arrivée en France en 2009, Lynda a fait un peu d’animation au Centre socio-culturel local. Grâce au projet « Territoires zéro chômeur », elle a créé cette activité d’aide administrative et est désormais en CDI. « J’ai changé de voiture, elle est un peu plus grande, dit-elle simplement. Je suis fière de ce que je fais. J’ai l’impression d’être vraiment utile. J’aide aussi les gens à avoir un peu de sérénité, pour qu’ils ne restent pas seuls. »

Lancé en 2017 par l’association ATD Quart-Monde, Territoires zéro chômeur veut inverser la logique habituelle : partir des compétences des demandeurs d’emplois pour créer les activités qui leur correspondent, tout en bénéficiant d’un statut de salarié (lire nos premiers articles ici et là) Dans le bureau de la cellule emploi, Lynda finit son entretien avec Ouardia. « C’est son sourire qui m’attire, souligne cette dernière. J’ai envie de venir la voir. Mon mari est là depuis 30 ans, mais il ne parle pas un mot de français. »
« Nous avons péché dans l’intégration »

A Colombelles, l’un des dix territoires en France expérimentant le dispositif, le projet a été propulsé en un an. 48 ex-chômeurs de longue durée sont désormais embauchés. Ils devraient être 70 à la fin de l’année. Réfection de logement, maraîchage, jardins partagés, animation et événementiel, transport solidaire, soutien administratif et santé… Les activités sont lancées tout azimut avec un double objectif : éradiquer le chômage de longue durée et générer un travail « socialement utile » et de qualité. « Notre but est de faire coïncider les rêves et les capacités des gens avec l’utilité pour le territoire », rappelle Annie Berger, la présidente de l’association Atipic qui porte le projet à Colombelles. L’association a créé une entreprise spécifique qui salarie les personnes qui développent leur propre activité ou rejoignent l’une des activités déjà existantes, jusqu’à ce qu’elles soient en mesure de sortir du dispositif.

Un an après la création de l’entreprise, les tensions et les difficultés se sont néanmoins accumulées. Ce jour-là, dans les bureaux devenus trop étroits pour tout le monde, l’ambiance n’est pas bonne. « Certains prennent Atipic pour une agence d’interim, sans tenter de comprendre le projet qu’il y a derrière », juge l’une des personnes salariées. « Pendant un moment, quand j’arrivais au travail, je me demandais ce qui allait se passer, j’avais la boule au ventre », relate une autre. « Certains demandeurs d’emploi ne veulent pas apprendre une nouvelle activité. Une personne nous a dit : j’ai été femme de ménage toute ma vie, je ne veux faire que ça. Or, comme cette activité est concurrentielle, on ne peut pas la proposer. [1] »

L’entreprise a fait appel à un audit pour tenter de dénouer les nœuds conflictuels qui sont apparus au cours de cette première année d’existence. « Il y a tellement eu d’embauches que nous avons pêché dans l’intégration », évoquent plusieurs salariés. « Je n’avais pas mesuré le besoin d’accompagnement des salariés dans leurs nouvelles fonctions, reconnaît Hervé Renault, le directeur. Nous rencontrons les mêmes problèmes que toute entreprise rencontre. Avec une difficulté supplémentaire liée à notre forte croissance : en un an Atipic a embauché 41 salariés ! »...

Par Simon Gouin (publié le 24/09/2018)
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