Trois ans après la mort de Rémi Fraisse, l’urgence d’une agriculture qui ne gaspille plus les ressources en eau
Il y a trois ans, Rémi Fraisse était tué lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens, sur la zone humide du Testet (Tarn). Depuis, le projet de barrage a été abandonné, mais la question de l’accès à l’eau continue de se poser, alors que la région commence à subir les effets concrets du réchauffement climatique. Comment cultiver sans gaspiller ? De nombreux agriculteurs locaux expérimentent des alternatives, mais se heurtent au dogmatisme, voire à l’intransigeance, des pouvoirs publics et du lobby agro-industriel. Reportage.

C’était il y a trois ans, dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014. En plein week-end de mobilisation contre le projet de barrage de Sivens, dans le Tarn, Rémi Fraisse, jeune militant écologiste de 21 ans, était tué par une grenade offensive lancée par un gendarme mobile. Jeté en cloche, le projectile a atterri entre ses épaules et son sac à dos, avant d’exploser en lui infligeant une blessure fatale. Après le choc, et une couverture médiatique nationale, le projet a été arrêté quelques mois plus tard, tandis que les derniers occupants évacuaient le site en mars 2015.

Depuis, la justice a annulé les arrêtés qui avaient rendu possibles les travaux à Sivens et, comme convenu avec l’État, un « projet de territoire » est en cours d’élaboration. Son principe : assoir les acteurs – élus, agriculteurs, voisins, associations environnementales... – autour d’une table pour trouver de nouvelles solutions.

La tâche s’annonce ardue, dans cette zone où les affrontements entre les « pro » et les « anti » barrage ont laissé des traces. La question d’un nouveau projet de retenue d’eau, et la forme que celui-ci pourrait prendre, reste un facteur de division. Mais certains agriculteurs, à leur échelle, ont dores et déjà fait bouger les lignes, en prenant leurs distances avec une agriculture intensive particulièrement gourmande en eau.

« Irriguer peut être rentable »

En ces journées d’automne, le brouillard persiste à s’accrocher aux collines. A un kilomètre des rives du Tarn, les vendanges occupent la ferme de Bois Moisset. « On est dans une phase compliquée. La production étant naturelle, il faut surveiller de près le niveau d’acidité », détaille Philippe Maffre. Lui et sa compagne, Sylvie Ledran, sont à la fois éleveurs, cultivateurs de céréales et producteurs de vin bio. « La différence entre un vigneron et un céréalier, c’est que le second est tranquille après la moisson », plaisante-t-il.

Mais si nous venons le voir, c’est pour une toute autre question : celle de l’utilisation des ressources en eau. « Je suis un hypocrite, s’amuse l’agriculteur. Je suis contre les barrages, mais j’irrigue quand même. » En partie du moins. Sur ses 60 hectares de céréales, 30 sont en zone irrigable, mais seulement 9 ha sont réellement irrigués.

Le couple, adhérent à la Confédération paysanne, s’est mobilisé contre le projet de barrage à Sivens. Au quotidien, Sylvie et Philippe sont confrontés au dilemme de de ces travailleurs de la terre conscients des enjeux écologiques, mais contraints par les difficultés économiques. « Irriguer peut être rentable : en bio actuellement, la demande explose. La tonne de maïs se vend jusqu’à 300 euros » relève Philippe, qui a abandonné cette culture il y a quinze ans. Il produit luzerne, tournesol, blé, lentilles et un peu de soja. Pour l’eau, il utilise le minimum autorisé par son association agricole associée (ASA). « Ils ne voulaient pas fixer une limite plus basse », précise Philippe.

Lire la suite sur bastamag.net (25/10/2017)

Par Grégoire Souchay