Quand des mal-logés rénovent pour recréer des espaces de solidarité
A côté des squats, ou des hangars désaffectés occupés par des artistes, se développent de nouvelles manières d’investir des bâtiments vides ou des maisons laissées à l’abandon. Dans des villes situées aux extrémités de l’Europe, Bucarest et Malaga, deux initiatives récentes viennent questionner la notion de propriété et de communauté urbaine. En Roumanie, des jeunes sans emploi rénovent les vieilles bâtisses menacées de démolition, avec l’accord des propriétaires. En Espagne, face à la crise, des familles s’installent dans des bâtiments appartenant à des banques et assurances. Reportage à l’intérieur de ces alternatives au mal-logement, alors qu’en France des dizaines de milliers de personnes sont expulsées chaque année de leur habitation.

À première vue, la ville de Malaga semble profiter de ses atouts touristiques. L’été, des milliers d’Espagnols et d’étrangers viennent se délecter du climat méditerranéen et de la nourriture andalouse. Mais loin de la station balnéaire, la réalité est plus cruelle : du jour au lendemain, des familles victimes de la crise financière et d’hypothèques abusives se retrouvent à la rue. Comme dans d’autres villes en Espagne, certaines personnes se regroupent pour former des corralas, des communautés qui occupent des bâtiments vides. Malaga en compte environ cinq, situées aux alentours du centre-ville.

La «Corrala de Las Luchadoras», la corrala des combattantes, est l’une d’entre elles. Neuf mères célibataires ont décidé d’occuper cet immeuble récent qui détonne parmi les bâtiments dégradés du quartier de la Goleta. Au troisième étage, Angeles et Estefania nettoient le sol jonché de confettis, résultat d’une fête d’anniversaire. «L’immeuble a été construit en 2005 mais les constructeurs n’ont pas réussi à vendre les appartements et, après abandon, l’espace a été pris par des junkies, explique Angeles. Nous enchaînions les petits boulots et nous n’avions pas assez d’argent pour nous payer un loyer. Alors, on s’est installées ici en 2013 pour donner un toit à nos enfants.» Pour les deux jeunes femmes, l’entraide est le mode d’ordre dans la corrala : «On partage tout. Par exemple, si l’une d’entre nous fait un puchero [plat typique d’Andalousie], on le partage avec les autres.»

L’espace vide comme outil d’intégration

De l’autre côté de l’Europe, en Roumanie, la problématique est différente mais l’objectif est le même : utiliser un espace vide pour créer des opportunités et de la solidarité. Depuis la fin de la période communiste, durant laquelle les bâtiments étaient nationalisés, de nombreuses bâtisses historiques se sont dégradées petit à petit faute de propriétaire. Certains ont récupéré leur ancienne demeure, sans avoir les moyens de les restaurer. La plupart d’entre elles risquent d’être détruites ou tout simplement de s’effondrer, car Bucarest se situe sur une zone sismique. Dans un contexte social et économique qui offre peu de place aux jeunes – qui travaillent souvent comme des forcenés pour trois fois rien – ces derniers ont décidé de chercher de nouvelles ressources dans ces demeures inhabitées.

Depuis trois ans, les projets fleurissent de part et d’autre de la ville : au Carol 53, des étudiants en architecture ont décidé d’habiter une maison du début du XXème siècle pour la rénover et y créer des projets socio-culturels ouverts à tous. A Casa de Pe Chei («La Maison sur le Quai»), une association utilise les pièces d’une vieille bâtisse et les loue à bas prix à des jeunes artistes ou associations. Un autre collectif d’architectes et d’artistes, nommé Calup, restaure une maison et l’utilise ensuite pour des évènements culturels temporaires. En 2013, en plus de celle où ils se sont installés, deux autres maisons connu une nouvelle jeunesse grâce à l’énergie de Calup.

Aider les jeunes et les propriétaires

Pour Cristiana, qui a quitté son job pour intégrer le projet, «le but de Calup est de réintégrer les maisons dans un circuit économique et culturel. Nous aidons les propriétaires, nous aidons les jeunes artistes, et on espère aider les maisons.» Chaque projet a survécu en partie grâce à l’aide bénévole d’amis qui ont participé à la rénovation des bâtiments ou à l’organisation d’évènements. Un élan solidaire que certains Roumains considèrent comme un nouveau souffle pour la ville et le pays, dont la jeunesse préfère souvent répondre à l’appel de l’Ouest.

En Espagne, avoir un logement signifie même plus : «Les parents qui sont à la rue peuvent être séparés de leurs enfants s’ils ne leur trouvent pas un toit», explique Isabel, bénévole pour la Plateforme des victimes d’hypothèques (PAH). Pour beaucoup de familles, les corralas leur ont non seulement donné un refuge mais aussi de l’espoir et de la dignité. C’est le cas de Rosario et de son ami José, qui ont trouvé une seconde vie en créant la corrala Bloque Malasaña. L’année dernière, le mari de Rosario est parti en lui laissant trois enfants sur les bras. «Ici je me suis toujours sentie protégée, déclare-telle. J’ai eu des problèmes avec mon ex-mari et ils m’ont trouvé un avocat et m’ont accompagnée devant le juge. Grâce à eux, je me sens mieux.»

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Par Marine Leduc et Ana Luz Muñoz Maya (03/02/2015)

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