Pour affronter la crise capitaliste multidimensionnelle, il faut exproprier les banquiers et socialiser les banques
Les actions des banques ont plongé partout dans le monde depuis la mi-février 2020 (voir les infographies dans le corps de l’article). Si les grands actionnaires se débarrassent en priorité des actions des banques, c’est qu’elles sont parmi les plus risquées.

Les gouvernements et les autorités bancaires mentent systématiquement à propos du bulletin de santé des banques. Les grands médias relayent ce discours mensonger car ils sont largement dépendants des banques qui financent une partie de la publicité dont ils vivent. Certains banquiers ou grands actionnaires de banques sont propriétaires de grands médias ou d’agences comme Bloomberg qui informent sur la situation des marchés financiers. Les plans de sauvetages mis en pratique par les banques centrales ne visent pas à répondre aux besoins urgents des populations affectées par la pandémie du coronavirus. Que ce soit en Europe, aux États-Unis, ou au Japon, les aides financières massives octroyées par les banques centrales visent principalement à protéger et à sauver les grands actionnaires des banques privées en particulier et le système de domination capitaliste en général.

Il est fondamental de dire la vérité sur les banques et de réussir à convaincre de plus en plus de personnes qu’il faut exproprier les grands actionnaires des banques, c’est-à-dire les capitalistes propriétaires des banques. L’expropriation doit se faire sans indemnité et doit permettre de créer un véritable service public de l’épargne, du crédit et des assurances sous contrôle citoyen. C’est ce que le CADTM appelle la socialisation complète des banques et des assurances.

Cette mesure doit faire partie d’un programme plus vaste qui comporte la suspension du paiement de la dette suivie de l’annulation des dettes illégitimes qu’elles soient privées ou publiques, la fermeture des bourses, la création d’un véritable service national de santé publique gratuit, l’expropriation sans indemnité des entreprises pharmaceutiques et des laboratoires privés de recherche et leur transfert dans le secteur public sous contrôle citoyen, l’expropriation sans indemnité des entreprises du secteur de l’énergie (pour pouvoir réaliser de manière planifiée la lutte contre la crise écologique) et bien d’autres mesures radicales et fondamentales, dont des mesures d’urgences pour améliorer tout de suite les conditions de vie de la majorité de la population.

La riposte nécessaire à la pandémie du coronavirus doit être l’occasion de promouvoir une authentique révolution pour modifier radicalement la société dans son mode de vie, son mode de propriété, son mode de production, dans les valeurs qui inspirent les comportements. Cette révolution aura lieu seulement si les victimes du système entrent en auto-activité, s’auto-organisent et délogent ou expulsent le 1 % et ses larbins des différents centres du pouvoir pour créer un véritable pouvoir démocratique. Une révolution écologiste-socialiste autogestionnaire et féministe est nécessaire.

Les banques sont en très mauvaise santé contrairement au discours officiel. Attention, ne nous méprenons pas. Les banques en tant qu’institutions sont en mauvaise santé mais cela ne veut pas dire que leurs grands actionnaires et leurs dirigeants n’en tirent pas d’importants revenus. Au contraire, une des raisons pour lesquelles les banques sont en mauvaise santé réside dans le fait que les grands actionnaires et les principaux dirigeants pompent un maximum de fric sur les revenus des banques.

Les banques ont distribué tout au long des dernières années des dividendes très importants à leurs actionnaires. Leurs dirigeants sont très grassement payés. Mais il y a une manière indirecte de faire gagner de l’argent aux grands actionnaires : le rachat d’actions de la banque.

Les banques rachètent leurs propres actions afin d’enrichir leurs grands actionnaires

Une des techniques employées par les grandes banques pour augmenter les revenus et le patrimoine des actionnaires consistent à racheter leurs actions en bourse. Ces dernières années, elles y ont eu recours systématiquement, notamment aux États-Unis à une échelle massive. Si les cours boursiers des banques ont atteint des sommets jusque début février 2020, c’est parce que les dirigeants des banques, avec l’accord des grands actionnaires, ont fait en sorte que les banques rachètent leurs actions et cela très souvent grâce aux liquidités qui leur sont apportées généreusement par les banques centrales à un coût nul ou dérisoire. À qui les banques rachetaient-elles leurs actions ? À leurs grands actionnaires pardi. Cela procure un très gros revenu à ceux-ci. Expliquons les choses simplement. Prenons l’exemple d’un gros actionnaire qui a acheté un paquet d’actions dont le prix à l’unité est de 70. Si le cours a grimpé jusque 100, et que le gros actionnaire vend une partie des actions à sa propre banque, il empoche 100 pour chaque action, donc 30 de plus que ce qu’il avait payé. Dans certains pays, les « plus-values » sur les actions ne sont même pas taxables sous le prétexte qu’il faut encourager les bourses !

Il est même plus intéressant pour les gros actionnaires de revendre les actions à leur(s) banque(s) – je mets au pluriel car les grands actionnaires sont actionnaires de plusieurs banques – que de toucher des dividendes qui sont susceptibles d’être plus taxés qu’une plus-value sur les actions. Disons que les grands actionnaires combinent les deux revenus : ils revendent une partie de leurs actions en engrangeant une plus-value, et pour les autres actions, ils touchent leur dividende.

L’annonce par l’entreprise qu’elle va racheter ses propres actions est généralement bien perçue par les actionnaires car les sociétés proposent souvent une « prime », c’est-à-dire un prix de rachat supérieur au dernier cours de clôture de l’action visée. De quoi inciter les actionnaires à garder leurs titres et à les apporter à l’offre de rachat, ce qui a en plus l’avantage de faire (re)bondir la cotation du titre en bourse.

Le fait pour la banque de racheter ses propres actions (et donc de les supprimer) lui offre un autre avantage : le volume des actions en circulation diminue et, du coup, le ratio entre le montant de dividendes distribués et le volume des actions en circulation augmente. La « rentabilité » ou le rendement augmente ce qui crée artificiellement une demande pour les actions encore en circulation, elles se revendent plus cher à la bourse et la cotation de la banque augmente.

Comme l’écrit le Financial Times, expert en la matière : « Les rachats d’actions sont neutres, en théorie, pour la valeur d’une entreprise car chaque dollar remis aux actionnaires est un dollar de moins dans son bilan. Cependant, une réduction du nombre d’actions en circulation augmente le bénéfice par action - ce qui peut souvent faire monter les prix - tout en augmentant la rémunération des dirigeants. » [1] (Financial Times, « Bank-led freeze on stock buybacks could spread across US market », https://www.ft.com/content/b1fa1688-68f6-11ea-a3c9-1fe6fedcca75, 20 mars 2020)

Il faut noter qu’entre début 2009 et fin septembre 2019, les grandes banques des États-Unis ont consacré 863 milliards de dollars aux rachats de leurs propres actions (S&P 500 Buybacks & Dividends - buybackdiv.pdf, https://www.yardeni.com/pub/buybackdiv.pdf, 23 mars 2020, Graphique/Figure 15 « Financials »). Après le secteur dominé par Google, Apple, Amazon, Facebook qui a procédé à des rachats d’actions pour un montant de 1394 milliards de dollars, le secteur bancaire aux États-Unis est celui qui a racheté le plus grand volume d’actions, beaucoup plus que le secteur industriel ou que les secteurs de l’énergie et des biens primaires. Le total des rachats tous secteurs confondus a atteint aux États-Unis plus de 5 250 milliards de dollars pendant la même période. C’est un des facteurs principaux de la bulle boursière. Le même phénomène est observable sur les autres continents avec les mêmes effets...

Par Eric Toussaint (publié le 24/03/2020)
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