Les Pays Bas s’apprêtent à infliger une leçon de démocratie à l’Union Européenne
Un référendum sur l’accord d’association (de libre-échange) entre l’Union européenne et l’Ukraine se tiendra aux Pays-Bas le 6 avril prochain. Bien que peu évoqué hors des frontières de ce pays, ce référendum pourrait être le déclencheur d’une crise majeure en Europe tant les probabilités que le peuple néerlandais le rejette sont fortes.

Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, craignant les conséquences d’un tel vote juste avant des élections législatives cruciales au Pays-Bas et en France en 2017, mais aussi en pleine négociation du TTIP, le traité de libre-échange transatlantique, a enjoint les citoyens des Pays-Bas à ne pas « mal voter ».


L’accord d’association controversé entre l’Ukraine et l’Union européenne a été l’un des déclencheurs du renversement du gouvernement ukrainien de Ianoukovitch à la suite du mouvement populaire du Maïdan. Le nouveau gouvernement ukrainien présidé par M. Porochenko, signataire de cet accord et appuyé par les États-Unis, a été à l’initiative d’une guerre civile à l’est du pays qui a fait plus de 10 000 victimes, dont de nombreux civils, et a provoqué le déplacement de plus de 1 100 000 réfugiés.

Il est légitime que les peuples des États membres de l’Union européenne se posent la question de l’opportunité d’un tel accord, d’une part eu égard aux coûts colossaux qu’il va faire peser sur les budgets européens, et d’autre part, car il pose la question du bien-fondé des décisions des institutions européennes rarement prises dans l’intérêt des peuples. Enfin, il marque l’alignement de l’Union européenne sur la politique étrangère étatsunienne, au risque de la paix en Europe, pourtant argument principal légitimant l’existence de l’Union.

Cet accord, déjà ratifié par le parlement néerlandais, est entré en vigueur le 1er janvier 2016. La très démocratique loi néerlandaise prévoit la tenue d’un référendum consultatif si au moins 300 000 signatures sont recueillies auprès des citoyens. Les auteurs de l’initiative visant à rejeter cet accord d’association en ont réuni 420 000. Le vote aura donc lieu le 6 avril. Si de plus, le taux de participation dépasse les 30 %, le gouvernement serait formellement obligé de reconsidérer l’accord. Or, selon les sondages, environ trois quarts des électeurs néerlandais voteront "probablement ou certainement" contre l’accord.

Jean-Claude Juncker, qui avait déclaré il y a quelques mois qu’"il ne [pouvait] y avoir de choix démocratique contre les traités européens", est en train de réaliser que le peuple peut encore faire irruption sur la scène politique à l’échelle de l’Union. Inquiet, il a appelé les Néerlandais à ne pas s’opposer à l’accord et fait remarquer qu’une réponse négative pourrait "déboucher sur une grave crise continentale, qui dépasserait largement le cadre néerlandais" (Reuters).

Ne doutons pas que Juncker, entre deux moments d’ébriété, y voit clair et s’inquiète à juste titre de chaque retour du peuple dans la vie politique. La portée du vote sera fortement symbolique, car ce référendum se tiendra alors que la Hollande, centrale dans l’Union européenne dont elle est fondatrice, assure la présidence tournante depuis le 1er janvier.

Les Pays-Bas pourraient réaliser un vote de défiance vis-à-vis de l’Union européenne et ses traités en illustrant combien les élites européennes sont coupées des intérêts des peuples qu’elles sont censées servir. Ce serait également un coup porté aux certitudes bruxelloises et au dogme de l’élargissement sans fin de l’Union européenne. Cela relancerait enfin le débat sur le degré d’intégration de chaque État-Nation dans l’Union et donc d’abandon de souveraineté, un an avant des élections législatives d’importance aux Pays-Bas et en France, deux pays phares de l’Union européenne où, par référendum populaire, le Traité constitutionnel européen avait été rejeté de manière retentissante en 2005 (61 % de « non » aux Pays-Bas, 55 % en France).

Les Néerlandais se prononceraient légitimement contre cet accord de libre-échange compte tenu du coût colossal pour l’Union européenne, donc pour ses citoyens, qu’il impliquerait. L’économie ukrainienne est, en effet, en faillite continue, soutenue à bout de bras par l’Union européenne et le FMI (qui, au contraire de la Grèce, lui a accordé une restructuration de sa dette). Il faudrait y injecter entre 40 et 65 milliards d’euros pour la remettre à flots et assurer un soutien de quelque 15 milliards d’euros par an pendant de nombreuses années, sommes impensables dans un contexte de récession, de crise grave, de chômage et de politique d’austérité dans les autres pays européens. Ces aides risqueraient d’ailleurs de n’y rien changer puisque le niveau de corruption de l’actuelle Ukraine est un des plus élevés au monde et supérieur – si c’est possible – à celui en vigueur sous Ianoukovitch.

Par ailleurs, le rapprochement plus marqué de l’Union européenne et de l’Ukraine augure d’un dumping social sans précédent en Europe, déjà largement initié par l’Allemagne dans ses usines. L’Ukraine compte une des plus importantes populations d’Europe – 46 millions d’habitants – pour un salaire moyen de 250 euros par mois et un salaire minimum de… 50 euros par mois. Ce rapprochement risque de causer un tsunami social dans toute l’Europe de l’Ouest où le travail, de plus en plus rare et précaire, est dévoyé par le déferlement des « travailleurs détachés » – nom pudique donné en Europe à la légalisation de l’exploitation.

Juncker redoute également les conséquences géopolitiques d’un « non » néerlandais, tant cet accord d’association sert surtout les intérêts hégémoniques des États-Unis. Pour Washington, l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN et son éloignement de la sphère d’influence de la Russie reste un des objectifs géostratégiques centraux et l’accord d’association UE/Ukraine n’en est qu’une étape. Cet accord mettrait l’Europe encore plus en porte-à-faux par rapport à la Russie ; or sans ce pays, comme le déclarait le général de Gaulle, un projet européen indépendant n’est pas viable.

Il est à noter que cela se déroule au même moment où se négocie, en catimini, l’accord sur le traité de libre-échange transatlantique, le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership - Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), visant à construire un grand marché entre l’Europe et les États-Unis, lequel, s’il était ratifié ainsi que le désirent ardemment les élites européennes, signerait le basculement définitif et complet de l’Europe dans le giron étasunien.

Si le référendum d’initiative populaire néerlandais se soldait par un vote « non » à l’accord d’association UE/Ukraine, une crise supplémentaire éclaterait au sein de l’Union européenne. Ce serait le retour du peuple dans un système d’institutions qui ne le représente plus et où la démocratie est inexistante : la banque centrale européenne n’a pas les mêmes prérogatives que la réserve fédérale des États-Unis, la Commission européenne est non élue et le parlement européen est composé de députés élus, mais sans réels pouvoirs. Caractère non démocratique qui sera encore renforcé par une des dispositions phares du TTIP, les tribunaux d’arbitrage, instances non élues dont les décisions s’imposeront aux États-Nations, si nécessaire en opposition aux décisions prises par le peuple, que ce soit par voie référendaire ou par le truchement de ses représentants au parlement – ce qui dans le cas de notre pays est en contradiction radicale avec l’article 3 de la Constitution.

Si cette initiative référendaire en Hollande est portée par différents partis dont le Parti de Gauche ne partage pas les orientations politiques, tout processus permettant au peuple de s’exprimer sur les questions européennes et internationales quand sa souveraineté est en cause est à saluer. Le Parti de Gauche soutient donc la tenue de ce reférendum.

Si, monsieur Juncker, il peut y avoir un choix démocratique contre les traités européens !

Par Djordje Kuzmanovic et Frédéric MB (15/01/16)

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