Déconfinement: quand la culture se fige pour dénoncer l’inaction du politique
A Anvers, Bruxelles, Charleroi, Gand, La Louvière, Liège ou encore Mons, des travailleurs du secteur culturel se sont donné rendez-vous jeudi pour investir l’espace public et former des statues vivantes de leurs professions. Artistes ou techniciens, chacun était venu avec son outil de travail – instrument de musique, caméra, projecteur, pinceau, micro, texte, chaussures de danse – pour réaliser ce happening national. Pendant 15 minutes, avec un arrêt sur image, chacun s’est figé dans un acte représentant symboliquement son métier.

Sur la place de la Bourse par exemple, on a pu voir un dessinateur suspendu en pleine esquisse du quartier, des circassiens figés dans un porté acrobatique, des comédiens, bouche ouverte mais soudain muet au moment de dire un texte, une scénographe en arrêt devant une maquette de décor. Marionnettiste, saxophoniste, écrivain, danseur, ingénieur son : des centaines de travailleurs de la culture (masqués et distants les uns des autres) se sont immobilisés, pendant 15 minutes, tout en arborant le hashtag #StillStanding (#ToujoursDebout). Plus de 50 associations d’artistes et de travailleurs de la culture flamande et francophone se sont associées pour cette courte mais intense performance à travers le pays pour dénoncer la paralysie d’un secteur qui n’est pas (encore) mort pour autant. Même si les institutions ont pris une grosse gifle financière – et ce n’est pas fini vu les contraintes annoncées sur les jauges – la multiplication des initiatives hors les murs et l’inventivité des artistes montrent que le cœur de la culture continue de battre malgré tout.

Entre-temps, le soutien aux artistes semble se débloquer dans les arcanes du processus législatif fédéral. Pour rappel, une proposition de loi avait été votée en commission le 9 juin pour faciliter l’obtention du statut d’artiste pendant la crise sanitaire, protéger ses bénéficiaires actuels qui n’ont pu prester de contrats artistiques pendant le confinement (et risquaient donc de perdre le statut) et cumuler allocations de chômage et droits d’auteur ou droits voisins (une « vieille » revendication du milieu culturel). Cette proposition de loi avait, malheureusement pour les artistes, été bloquée par un renvoi au Conseil d’Etat et à la Cour des Comptes demandé par plusieurs partis flamands (la N-VA, le CD&V, le VB et l’Open VLD), et qui risquait de retarder toute adoption jusqu’après l’été (vu l’absence du Parlement à partir du 21 juillet). Heureusement, les deux institutions ont confirmé au Parlement qu’elles rendront leurs avis autour du 9 juillet, ce qui devrait permettre un vote avant le 21. Du côté francophone, on s’en réjouit et tous les partis se défendent de toute manœuvre dilatoire sur ce sujet. L’empathie pour le milieu culturel semble avoir conquis les parlementaires – confirmation dans deux semaines.

Cette action Still Standing n’en reste pas moins une piqûre de rappel pour les politiques : le secteur culturel est aussi un secteur économique parmi les plus impactés par la crise du coronavirus. Il est essentiel au vivre-ensemble et fait vivre (et vibrer) un grand nombre d’électeurs.

«Il était temps qu’on descende dans la rue»
C.Ma.

Fidèle au mot d’ordre secrètement diffusé par les organisateurs du happening #StillStanding, la chorégraphe Caroline Cornélis est arrivée sur la place de la Bourse avec son instrument de travail : son corps. Les mollets tatoués du slogan du jour, elle s’est figée, à 14h, dans un sportif mouvement de danse. Pas facile de tenir la pose, pendant 15 minutes, sans bouger, sous un soleil de plomb et le visage masqué. Peu importe ! L’avenir de la culture valait bien quelques crampes et l’artiste n’aurait, pour rien au monde, manqué ce rendez-vous. « On respecte trop notre métier pour ne pas descendre dans la rue aujourd’hui et dire “ça suffit !”, s’enflamme la danseuse. Le confinement a mis en lumière les failles du système, à commencer par le statut d’artiste, qui n’est pas correct. On ne peut pas continuer à travailler dans une telle précarité ! Les batailles sont là, dans la reconnaissance de ce métier, de sa nécessité. »

A ses côtés, Marie-Odile Dupuis, du Théâtre des 4 Mains, partage sa colère : « Nous en avons marre du mépris et de la suspicion d’une certaine partie de la classe politique. J’ai trois filles qui se lancent toutes les trois dans des métiers culturels. Pour elles, c’est tellement vital qu’elles sont prêtes à vivre avec 1.200 euros par mois mais, par contre, elles ne veulent pas qu’on les soupçonne de profiter de la société. Nous sommes des travailleurs, nous cotisons, nous faisons fonctionner la société. Nous avons bossé pendant trois mois pour participer à la concertation, pour proposer des mesures. Nous avons été bien défendus par notre ministre de la Culture et puis, d’un coup, tout cela est méprisé par des politiques qui nous prennent pour des profiteurs. Participer à cette action, pour moi, c’était dire : “on existe et on n’abandonne pas”. Même détermination chez Caroline Cornélis : « Ce métier n’a jamais été aussi présent dans ma vie que depuis que j’ai été empêchée de le faire. Plus que jamais, je sais que c’est là que je veux être et je le défendrai avec plus de conviction encore qu’avant. »

Par Catherine Makereel (publié 25/06/2020)
A lire sur le site Le Soir