Contre la progression des idées d’extrême droite, la nécessité d’une contre-attaque
Face à la multiplication des projets de réformes antisociales et la banalisation des thématiques du Rassemblement national dans les médias, il devient urgent pour la gauche de proposer une alternative sociale et porteuse d’espoir, alerte le sociologue Ugo Palheta.

Ces derniers jours, deux polémiques nées sur Internet sont venues illustrer la dynamique politique actuellement à l’œuvre en France : une vidéo publiée par un youtubeur fasciste connu sous le nom de «Papacito» qui mettait en scène l’exécution d’un électeur de la France insoumise, et le tweet du philosophe pour médias Raphaël Enthoven annonçant qu’il préférerait voter Le Pen plutôt que Mélenchon.

Dans les deux cas, il importe de comprendre ce qui se joue, de s’organiser, d’unir des forces et de dessiner des perspectives de mobilisation. Depuis plusieurs années, une offensive se déploie visant à accélérer le durcissement autoritaire de l’Etat, mais aussi à disqualifier l’ensemble de la gauche, des mouvements sociaux et des intellectuel·les critiques par l’accusation infamante de complicité avec le terrorisme. On a pu observer ces derniers mois comment le pseudo-concept d’«islamo-gauchisme», né à l’extrême droite, avait circulé dans les champs médiatique et politique, jusqu’aux ministres Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal, pour appuyer la thèse (délirante) d’une telle complicité.

Assentiment de ce type de discours dans des médias

La vidéo de Papacito exprime le fait qu’avec la surenchère autoritaire et raciste des derniers mois, avec la banalisation du FN /RN et de ses «idées» dans l’espace médiatique (où l’on ne compte plus ses idéologues invité·es chaque jour), l’extrême droite extraparlementaire est amenée à aller toujours plus loin, ne serait-ce que pour exister. Plus loin, c’est l’envahissement du conseil régional d’Occitanie par le groupuscule royaliste Action française, l’incitation à prendre les armes et à en faire usage contre «l’ennemi» (les musulman·es, les antiracistes et antifascistes, les militant·es de gauche, etc.), l’exhortation de l’armée à intervenir contre les «hordes de banlieue», l’appel à un «homme fort», et on pourrait allonger la liste presque indéfiniment.

Les discours et les pratiques se radicalisent, avec la menace que se multiplient des attentats d’extrême droite. Mais la principale nouveauté, c’est l’assentiment que trouve ce type de discours dans des médias (privés) de masse : les pseudo-journalistes de Valeurs actuelles sont régulièrement invités sur les plateaux télés, Eric Zemmour peut déverser continuellement sa rhétorique fasciste sur CNews (et y soutenir Papacito au passage), une membre du groupuscule raciste Génération identitaire (dissous entretemps) se voit tendre un micro dans une émission de grande écoute. Et tout ce beau monde peut prétendre à longueur de temps qu’il serait honteusement «bâillonné».

Inclinations profondes

Dans le cas du tweet de Raphaël Enthoven, la manœuvre ne vise pas simplement à créer artificiellement une polémique afin de s’attirer un peu d’attention médiatique. La déclaration du «philosophe» exprime sans doute honnêtement ses inclinations profondes et ne devrait nullement prêter à l’étonnement. Elle a plutôt le mérite de révéler ce que chacun·e pressent, à savoir que si la classe dominante, son personnel politique et ses idéologues attitré·es sont amené·es dans les années à venir à choisir entre l’extrême droite et une perspective de rupture de gauche avec le néolibéralisme, ils et elles opteraient largement pour la première option. D’ailleurs, l’ancien ministre de l’Education nationale Luc Ferry n’avait pas déclaré autre chose dès 2010, quand il disait trouver Marine Le Pen «plus responsable et moins dangereuse» qu’Olivier Besancenot. Et comment donner tort à Enthoven et Ferry de leur point de vue d’idéologues conservateurs, car si Marine Le Pen parvenait au pouvoir, elle ne menacerait assurément en rien les intérêts de la classe à laquelle ils appartiennent et dont ils expriment les aspirations, les craintes et les intérêts ; au contraire elle constituerait un rempart de l’ordre social.

«Plutôt Hitler que le Front populaire», disaient la bourgeoisie française et son personnel politique dans les années 30. Nous ne faisons pas face actuellement au nazisme et il n’y a point de Front populaire à l’horizon, mais le cynisme de certains acteurs du débat public ne paraît pas avoir régressé et la trajectoire que suit la France, marquée par la destruction des solidarités collectives et des conquêtes sociales (Sécurité sociale, droit du travail, services publics, etc.), la remise en cause des libertés publiques et la banalisation des discours racistes, l’entraîne d’ores et déjà vers le pire.

Une contre-offensive est donc impérative, sous peine de voir s’approfondir ce processus de fascisation : elle pourrait commencer samedi avec la marche «pour les libertés et contre les idées d’extrême droite», à laquelle appellent largement des mouvements sociaux, des syndicats et des partis de gauche. Mais il faudra qu’elle parvienne à s’adresser aux classes populaires et qu’elle trouve une traduction politique. En s’appuyant sur des propositions associées à la gauche (taxer davantage les dividendes, augmenter les salaires, réinvestir fortement dans les services publics, etc.), elle pourrait parvenir à faire émerger un projet alternatif et hégémonique. C’est à ce prix que pourrait renaître un espoir de changement.

Par Ugo Palheta (publié le 11/06/2021)
A lire sur le site Libération