Comment transformer l’hôpital en bien commun, géré par les soignants et les usagers, non par les financiers
Les collectifs de soignants et de patients ont des idées très concrètes pour sauver l’hôpital. Alors que le gouvernement poursuit les discussions avec le secteur de la santé, ils se mobilisent à nouveau ce 30 juin puis le 14 juillet.

« Au Ségur, il y a des professionnels du lobbying très efficaces, la Fédération de l’hospitalisation privée surtout. » Anne Gervais est médecin en hépato-gastro-entérologie et en maladies infectieuses dans deux hôpitaux parisiens. Elle n’est pas tout à fait convaincue par le « Ségur de la santé ». Cette consultation, lancée par le gouvernement fin mai, doit dessiner des mesures à prendre pour l’hôpital. Après le long mouvement de grève des urgences, puis la mobilisation des médecins hospitaliers, et enfin la démission collective d’un millier de chefs de service, la crise sanitaire du Covid a finalement obligé le gouvernement à ouvrir, au moins, une discussion. Celle-ci est pilotée par Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT. Les débats doivent se conclure le 10 juillet.

Pour l’instant, la seule promesse concrète concerne les revalorisations des salaires : une enveloppe globale de 6 milliards pour les personnels paramédicaux (infirmiers, aides-soignants, administratifs, techniciens) des hôpitaux et Ehpad. Les cliniques privées pourraient également recevoir un coup de pouce de l’État pour augmenter leur personnel. Qu’en est-il des autres sujets, comme la fermeture de lits ou la gestion des hôpitaux, sur laquelle les soignants aspirent à reprendre la main, aux dépens des cost-killers ? « Il ne s’agit pas vraiment de discussions. Chacun est dans son couloir de piscine, et nous ne savons pas du tout si, au final, ce qu’on dit va être pris en compte », relate Anne Gervais.

Arrêter de fermer des lits

La médecin est membre du collectif Inter-hôpitaux, invité au Ségur. L’autre collectif né des longs mois de mobilisations, le collectif Inter-urgences qui regroupe infirmières, aides-soignant.es, et autres paramédicaux, est exclu de la discussion. Les deux collectifs demandent tous deux 300 euros d’augmentation immédiate pour les paramédicaux et la fin des fermetures de lits. Plus de 60 000 lits d’hôpitaux ont été supprimés entre 2003 et 2017, un choix comptable qui a mené à la saturation que l’on sait pendant l’épidémie de Covid. Malgré la menace d’une seconde vague, les suppressions de lits décidées en haut lieu – au niveau du « Comité interministériel de performance et de la modernisation de l’offre de soins » (Copermo) sont pour l’instant maintenues. C’est le cas par exemple à Nancy et à Reims.

Aucun signe d’un changement de cap, donc. « Nous avions mis sur la table des préalables, ce que les collègues revendiquent depuis plus d’un an : la revalorisation immédiate des salaires, l’arrêt des restructurations, la réouverture de lits, l’embauche de l’ensemble des contractuels et un plan de formation pour recruter, détaille Jean-Marc Devauchelle, secrétaire général de Sud Santé-Sociaux. Nous avons rencontré Nicole Notat qui était dans l’incapacité de nous dire quoi que ce soit. Il semblerait que pendant un an, on ne nous a pas entendu, et ce n’est pas plus le cas aujourd’hui. ». Pour ces raisons, le syndicat a quitté le Ségur. Pourquoi a-t-on besoin « de faire ce Ségur alors que, depuis deux ans, les choses sont déjà dites par les professionnels soignants », s’interroge aussi Alain Bruneel, député communiste et auteur d’une proposition de loi sur le financement de l’hôpital. Car, dans le cadre de leur mouvement, les soignants portent déjà nombre de propositions concrètes.

Une cogestion avec les soignants et les usagers

« Nous devons revenir vers la santé comme bien commun. Pour cela, il faut une cogestion », estime Anne Gervais. C’est une demande centrale du collectif Inter-hôpitaux : ouvrir la gouvernance des hôpitaux aux soignants, médecins comme paramédicaux. En 2009, une loi a démis les médecins d’une grande partie de leur pouvoir au sein des hôpitaux [1]. La commission médicale d’établissement, composée de médecins, s’est retrouvée subordonnée au chef d’établissement, un manager.

Pour l’hépatologue, revenir à l’avant 2009 n’est pas la question. « Ce n’est pas seulement le problème des médecins, sinon on aurait un mandarin président qui va cosigner avec un directeur. Ce n’est pas vraiment de la cogestion, dit-elle. Notre idée est de rendre le fonctionnement de l’hôpital et du système de santé plus largement participatif. Il faut se tourner vers les équipes de terrain, leur demander comment elles conçoivent leur exercice, regarder ce qu’elles proposent pour répondre aux besoins et s’organiser pour les soutenir. C’est ce qu’on a fait dans nos services au moment du Covid. On s’est adapté au coup par coup. L’administration, l’agence régionale de santé, nous ont suivis. C’était incroyable. En temps normal, nous ne recevons pas de réponses à nos demandes. »

Sud Santé-Sociaux souhaite aussi que les syndicats soient membres des instances de gouvernance. Les représentants des usagers pourraient de même y être présents. « Leurs voix au sein du directoire pourraient être consultatives sur des sujets comme le nombre de personnels soignants ou le budget. Mais nous voulons qu’elles soient décisionnaires sur le parcours de santé, la gestion des besoins hospitaliers service par service, explique Marie Citrini, représentante des usagers au sein de la « commission des usagers » de l’APHP – cette commission existe dans chaque hôpital. Nous avons porté ces revendications au Ségur. Solliciter les professionnels de santé et les usagers va peut-être permettre au gestionnaire d’avoir un regard plus précis sur ce qui se passe au sein des établissements. »

Aujourd’hui, les commissions des usagers peuvent seulement faire remonter les réclamations des patients. « La grande majorité de ces réclamations concernent des problèmes de communication entre les personnels et les patients. C’est de façon évidente lié au manque d’effectifs et à une organisation gestionnaire qui met en péril ces temps de communication », souligne Marie Citrini...

Par Rachel Knaebel (publié le 30/06/2020)
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