Restructuration des dettes d’États : le CADTM International place l’audit de la dette au centre de ses Plans A et B
Le 10 septembre, l’Assemblée générale des Nations-Unies a adopté à une très large majorité (136 voix pour, 6 contre et 41 abstentions) une résolution énonçant neuf principes à suivre lors des restructurations des dettes d’États. Une restructuration se concrétise généralement par un rééchelonnement ou une réduction de la dette.

L’objectif de l’ONU est de créer à moyen terme un cadre juridique international pour la restructuration de ces dettes et ainsi contrer la stratégie des fonds vautours. Ces fonds d’investissements privés profitent de ce vide juridique pour réclamer aux États devant les tribunaux nationaux le paiement intégral des créances qu’ils rachètent à vils prix, plus les intérêts.

Mais les fonds vautours ne sont pas les seuls opposés à l’instauration d’un tel cadre multilatéral puisque six États parmi les plus puissants de la planète ont voté contre la résolution (États-Unis, Canada, Allemagne, Japon, Israël, Grande-Bretagne) et l’ensemble des pays de l’Union européenne, y compris la Grèce, se sont abstenus.

Pour se justifier, les gouvernements de ces pays avancent deux arguments. Premièrement, les principes énoncés dans cette résolution (impartialité, transparence, bonne foi, traitement équitable, immunité souveraine, légitimité, durabilité, application de la règle majoritaire, souveraineté) ne refléteraient pas le droit international. L’Expert de l’ONU sur la dette, Juan Pablo Bohoslavsky, affirme, au contraire, que ces principes ne créent aucune nouvelle obligation pour les États et ne font que codifier des règles existantes du droit international. Le second argument est de dire que l’ONU n’est pas le lieu approprié et qu’il revient au FMI et au Club de Paris de gérer les questions portant sur les dettes souveraines.

Rappelons que le Club de Paris est le groupe informel réunissant les vingt plus riches États créanciers, qu’aucun d’entre eux n’a voté en faveur de la résolution ; que les États-Unis disposent toujours d’un droit de veto au sein du FMI et que cette institution a toujours été dirigée par un-e ressortissant-e européen-ne, aujourd’hui Christine Lagarde. Ces organisations représentent donc exclusivement les intérêts de créanciers occidentaux au service des intérêts du secteur financier. Ce qui explique leur hostilité à réglementer les restructurations de dettes dans un cadre démocratique comme l’Assemblée générale des Nations-Unies où tous les États sont à égalité en disposant d’une voix.

L’Histoire montre que les restructurations de dettes ont toujours été opérées dans l’intérêt du créancier qui impose, en échange d’un rééchelonnement ou d’une diminution de la dette, des conditions contraires à l’intérêt de la population du pays endetté. C’est le cas des centaines de restructurations de dettes de pays du Sud conduites par le FMI et le Club de Paris. C’est aussi le cas de la restructuration de la dette grecque organisée par la Troïka (BCE, Commission européenne et FMI) en 2012, qui a été conditionnée à l’approfondissement de politiques d’austérité qui ont violé directement et de manière intentionnelle les droits fondamentaux de la population et fait exploser la dette grecque. C’est notamment ce qui ressort du rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette mise sur pied par la Présidente du Parlement grec, Zoé Konstantopoulou, et dont font partie plusieurs membres du réseau CADTM. Cette Commission s’est procuré un document interne du FMI, daté du mois de mars 2010, démontrant que les créanciers savaient à l’avance que l’imposition de la cure d’austérité allait créer une catastrophe économique et sociale et conduirait inévitablement à une hausse importante de la dette grecque.

Ce rapport rappelle également que les fonds vautours ainsi que la vingtaine de banques grecques et étrangères (en particulier françaises, allemandes et hollandaises), qui ont spéculé sur la dette grecque avant 2010, ont été intégralement remboursés grâce aux prêts de la Troïka. La restructuration n’est intervenue que deux ans plus tard, une fois ces créanciers privés sauvés. Ceux qui ont finalement fait les frais de la restructuration de 2012 sont les fonds de pensions grecs et les citoyens qui détenaient des titres de la dette grecque.

La démarche de l’audit permet d’identifier avec précision les dettes illégales, illégitimes, odieuses et insoutenables et constitue dès lors une véritable arme politique dans les mains d’un gouvernement d’un pays qui négocie une réduction de sa dette. Il permet également en cas d’échec des négociations – ce qui est hautement probable vu l’opposition de principaux États créanciers à la résolution de l’ONU – fonder une décision unilatérale de répudiation des dettes illégales, illégitimes, odieuses et insoutenables.

Une telle décision, qui se justifie par des considérations impératives de justice et d’équité, trouve également ses fondements dans les notions de souveraineté, d’autodétermination et d’auto-défense. En effet, lorsqu’un pays est la cible d’actions de ses créanciers qui nuisent aux conditions d’existence de son peuple, un État peut légalement recourir à des contre-mesures, sur le fondement du droit international coutumier. Ces contre-mesures peuvent prendre la forme d’une répudiation de dettes. Elles doivent également s’accompagner d’une série d’autres mesures visant notamment le contrôle des banques pour les mettre au service de l’intérêt général, la justice fiscale, etc.

Rappelons que l’Équateur a réalisé un audit intégral de sa dette publique en 2007-2008 et, que sur la base de ses résultats, a pris la décision souveraine de ne pas rembourser la part illégitime de sa dette commerciale extérieure. Ses créanciers n’ont eu d’autre choix que d’accepter cette décision et cette économie a permis au gouvernement équatorien d’investir davantage dans le secteur social.

Pour en finir avec la mainmise des créanciers sur le destin des populations des États endettés, qui utilisent la dette comme un outil de chantage pour dicter des politiques anti-sociales et affaiblir la démocratie, le réseau CADTM international :
  1.     soutient toute initiative internationale sur la dette à condition qu’elle soit menée dans un cadre démocratique comme l’Assemblée générale de l’ONU et qu’elle fasse primer les droits humains sur les intérêts des créanciers ;
  2.     recommande d’ajouter aux neuf principes le droit inaliénable des États à mener un audit intégral de sa dette et à suspendre le paiement de la dette pendant la durée des négociations sur la restructuration. Le droit à mener des audits est déjà reconnu dans de nombreux textes internationaux comme les Principes directeurs relatifs à la dette extérieure et aux droits de l’Homme, adoptés par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU le 18 juillet 2012. La suspension du remboursement des dettes se fonde sur la primauté des droits humains, conformément à l’article 103 de la Charte des Nations-Unies et à l’argument de l’état de nécessité reconnu par la coutume internationale et par la jurisprudence.
Par CADTM International (publié le 15/09/2015)
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