Permettre à chacun de manger à sa faim : l’idée d’une « Sécurité sociale de l'alimentation"
Garantir un droit à l’alimentation pour tous, financé par la solidarité nationale : c’est le projet d’un collectif qui imagine une « sécurité sociale de l’alimentation ». À l’image de la « sécu », qui garantit un accès aux soins pour tous, la « sécurité sociale de l’alimentation » serait éminemment solidaire : chacun cotiserait selon ses moyens pour permettre aux familles les plus pauvres de subvenir a minima à leurs besoins. La gestion serait démocratique, avec des caisses locales au sein desquelles se retrouveraient des consommateurs, des producteurs, des travailleurs ou des élus. Un budget mensuel dédié de 150 euros par mois et par personne – cette somme serait versée aux parents pour les mineur.es – serait sanctuarisé, et intégré dans le régime général de sécurité sociale.

De la même façon que tout le monde a accès aux soins avec une carte Vitale, il s’agit de garantir à chacun.e l’accès à une alimentation choisie. Un collectif d’organisations, réunissant ingénieurs, agriculteurs, militants associatifs [1], travaille sur le sujet depuis trois ans. Il estime que ce système permettrait à toutes et tous d’avoir accès à une alimentation de qualité, respectant l’environnement et les travailleurs, de la production comme de la distribution.

« 150 euros, c’est le montant minimal pour pouvoir parler de droit à l’alimentation » précise Mathieu Dalmais, agronome et membre de l’association Ingénieurs sans frontière. Cette somme est celle que l’on retrouve dans les milieux de l’aide alimentaire ou de l’accueil d’urgence : cinq euros par jour est allouée à un ou une bénéficiaire par les structures caritatives quand elles ne peuvent pas fournir de nourriture. Ce montant reste cependant insuffisant pour s’alimenter confortablement, reconnaît Mathieu Dalmais. La moyenne de consommation alimentaire des Français est d’environ 225 euros par mois et par personne, hors boisson et restauration en dehors du domicile. Si le projet de sécurité sociale de l’alimentation aboutit, les initiateurs aimeraient augmenter ce montant. Celui-ci pourrait aussi être pondéré en fonction du lieu de vie, tant le prix de l’alimentation varie géographiquement.

La sécurité sociale de l’alimentation : mode d’emploi

On ne pourra pas acheter n’importe quel aliment avec ce budget mensuel. Seuls les produits « conventionnés » seront accessibles, un peu comme pour les médicaments plus ou moins remboursés. Ils seront désignés par des caisses locales de sécurité sociale de l’alimentation, gérées par des cotisants. « L’enjeu est de pouvoir collectivement définir ce que nous voulons manger, comment le produire, et comment en assurer l’accès à tous », explique le collectif à l’initiative du projet. Les produits dit « conventionnés » ne seront pas uniquement des produits frais. Ils devront répondre aux besoins des préférences alimentaires spécifiques (sans porc, végétarien, non allergènes, etc.). Les 150 euros doivent aussi permettre d’acheter des produits transformés ou d’accéder à la restauration collective publique (cantines, restaurants universitaires). « L’idée n’est pas d’obliger les gens à faire la cuisine mais bien qu’ils aient accès aux produits dont ils ont envie », précise Mathieu Dalmais.

Un produit importé d’Europe ou d’ailleurs dans le monde pourra aussi être conventionné. « Il ne s’agit pas de confondre souveraineté et autarcie » observe Mathieu Dalmais. « En revanche, on refuse de prédéfinir les critères environnementaux ; on a assez de certitudes sur la volonté des citoyens à ne pas s’empoisonner et respecter leurs campagnes. »

Les assemblées gérant les caisses rassembleraient des professionnels, des consommateurs, des élus, des citoyens tirés au sort… Chaque caisse couvrira environ 15 000 à 20 000 personnes, afin de rester au plus proche du contexte agricole et alimentaire local. Le fonctionnement global du système reste encore à préciser.

Transformer le système de production

« Avoir le choix de son alimentation, ce n’est pas seulement choisir ses produits, mais aussi les conditions de production de ce que l’on retrouve dans les rayons », défendent les promoteurs. Un cahier des charges de « bonnes pratiques » pourra être réalisé avec les éleveurs mais aussi les abattoirs et magasins. « On ne s’interdit pas non plus de travailler avec l’industrie agroalimentaire », ajoute l’agronome. « Conventionner à condition de mettre en place une transition de système de production, c’est possible. »

Ces 150 euros par personne et par mois, représentent un budget de 120 milliards d’euros par an. Soit la moitié de l’ensemble de la consommation alimentaire. « Reste largement de la place pour les paysans qui voudraient continuer hors de ce système », note Mathieu Dalmais. Celles et ceux qui redouteraient un système trop monopolistique peuvent être rassurés...

Par Sophie Chapelle
Lire la suite sur le site Basta