Combattre les acteurs de la financiarisation et interdire les profits sur les dettes privées et publiques illégitimes
En janvier 2020 est paru le « Cahier de revendication communes sur la dette et la nécessité d’un réel contrôle citoyen sur la finance au niveau européen », coordonné par le CADTM. Ce document a été écrit de manière collective par les militant·e·s de près d’une quinzaine de collectifs et organisations à travers l’Europe. Il a été signé, en tout ou en partie, par 39 associations de 10 pays européens.

La sortie de ce cahier de revendication européen a été éclipsée par la crise sanitaire du coronavirus. En revanche, son contenu est plus que jamais d’actualité. En effet, vu les niveaux d’endettement publique qui ont atteint de nouveaux sommets et vu les promesses faites par les gouvernements de nouvelles mesures d’austérités. Vu l’opportunité saisie par le monde de la finance pour organiser en douce son sauvetage par les États et pour leur refiler les milliards d’euros de dettes sur lesquels il a spéculé ces dernières années. Et vu l’ampleur grandissante de la crise économique et sociale en cours. Il est plus que jamais urgent de répondre au chantage de la dette et de se saisir collectivement de tous les secteurs qui relèvent du bien commun et de leurs moyens de financement. Or, c’est précisément l’objet des revendications faites dans ce Cahier de revendications.

Nous republions, dans le désordre et en fonction de l’actualité, chacun des chapitres de ce document. Ce premier chapitre publié séparément (qui est en fait le chapitre 4 du document) traite de l’urgence de répondre à la privatisation des secteurs de la santé et du logement et du rôle des fonds vautours dans la destruction de ces secteurs en Europe.

L’hégémonie croissante des acteurs financiers et du capital, due au processus de financiarisation dont il est question dans le chapitre 6.d., leur offre un pouvoir de contrôle sur les individus, les entreprises, les sociétés et les gouvernements. Les marchés déterminent ainsi les objectifs à atteindre. En leur sein, de nombreux acteurs se font concurrence et collaborent : des entreprises, des individus, et même des gouvernements, leur but étant de tirer un maximum de profits. Une pléiade de banques, fonds de pension, fonds de capital risque, compagnies d’assurance, investisseurs, etc., interviennent avec de l’argent emprunté pour ensuite l’investir et générer des profits aux dépens des « outsiders », c’est-à-dire des travailleurs/euses, des pensionné·e·s, des personnes exclues du monde du travail, des migrant.e.s, des personnes en situation de précarité, etc.

Les États et les ménages subissent les conséquences des bulles financières

Les agents financiers ont joué un rôle central dans la crise que nous vivons en Europe depuis plus d’une décennie. Une comparaison de l’évolution des chiffres des dettes privées et des dettes publiques depuis les années 2000 permet de dévoiler l’ampleur de leurs activités. Les dettes des sociétés financières n’ont cessé d’augmenter entre 2000 et 2007 [1], de la même manière que les dettes des ménages [2] et des sociétés non financières [3] au bénéfice notamment des banques européennes alors que le taux d’endettement public était en baisse durant la même période [4]. Après 2007, ce sont les taux d’endettement public qui ont augmenté en passant de 66 % à 82 % en 2011 sur l’ensemble de la zone euro alors que les dettes privées des ménages et des sociétés non financières ont augmenté de manière très réduite depuis 2007 [5].

Les institutions financières, et en particulier les banques, ont ainsi engendré des bulles de crédits colossales avant 2007 qu’elles n’ont pas assumées. Ce sont les États européens qui en ont payé le prix, ce qui explique l’augmentation des chiffres des dettes publiques après 2007. Nous pouvons dire que les dettes privées créées de toutes pièces par les entreprises financières se sont transformées partiellement en dettes publiques par différents procédés dont le plus connu est le bail-out, c’est-à-dire la recapitalisation bancaire par les États soutenue et encouragée, voir imposée, par les institutions européennes. D’autres formes de recapitalisation qui ne disent pas leur nom sont apparues par après. (voir chapitre 2.a)

Les bulles de crédits générées par l’octroi abusif de prêts de toutes sortes par les banques privées, notamment aux ménages des pays les plus en difficulté (Grèce, Espagne, Portugal, Irlande, Chypre), ont très vite explosé. Les conséquences de ces phénomènes ont été et continuent d’être d’une extrême gravité : expulsion, exclusion, privations de droits – droit à la santé, à l’éducation, au logement, à la sécurité sociale, etc... Les revenus des ménages baissent alors que leurs dépenses augmentent pour pallier aux coupes budgétaires des États et à la libéralisation de l’économie au sens large. Finalement, on assiste à une multiplication de prêts non performants des ménages (prêts qui risquent de ne pas être remboursés) conduisant à une crise de l’endettement privé au plus grand bénéfice des fonds vautours, ces fonds spéculatifs d’investissement qui tirent de juteux profits des crises financières.

Le rôle des fonds vautours

Les fonds vautours, sont des fonds d’investissement spécialisés. L’objet de leurs investissements sont les créances en difficulté de recouvrement. Ils acquièrent ainsi à des prix bradés des paquets de créances, des actions et des obligations à des banques, des entreprises ou des États, pour exiger ensuite un remboursement complet des valeurs des créances. Ils agissent sur des zones économiques en difficulté dans lesquelles ils profitent de la faiblesse des prix des actifs.

Dans le cas des entreprises, les fonds vautours cherchent à accéder à leur contrôle et leur gestion afin d’effectuer les opérations de réorganisation interne, généralement par la vente d’actifs ou la réduction du personnel en vue d’une capitalisation rapide. De plus en plus de fonds vautours participent à la gestion des services publics dont le fonctionnement s’écarte des principes d’équité et également d’efficacité qui les ont fondés pour se rapprocher d’une logique corporatiste.

Certains fonds vautours, typiquement enregistrés dans des paradis fiscaux, se spécialisent dans le rachat à bas prix de vieux titres de dette publique car l’État en question a déjà fait défaut ou risque de faire défaut. Refusant de participer aux opérations de restructuration de l’État en difficulté, ces fonds multiplient ensuite les procédures judiciaires dans différentes juridictions contre ce pays, afin d’obtenir un paiement équivalent à la totalité du principal, des intérêts accumulés, des pénalités de retard et parfois même des frais des justice. Considérant la différence de prix entre la décote initiale des titres rachetés sur le marché secondaire et les sommes demandées et obtenues auprès des tribunaux, les taux de profit des fonds vautours oscillent entre 300 % et 2000 %. Ceci aux dépens des populations et de leurs droits sociaux fondamentaux...

Par CADTM (publié le 10/09/2020)
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